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23 avril 2002

Présidentielles 2002 - Réflexions sur le tas

A qui la honte ?

antilepen« Honte ! Honte ! », entend-on ça et là. C’est le cri qui fuse dans les rues, le slogan qui fleurit sur les murs des villes, le mot qui vient sur les lèvres déconfites. Ne nous trompons cependant pas de honte.

Oui, honte à ceux-là qui ont rendu Le Pen comestible à force de pleurnicher pour lui lorsque celui-ci nous faisait croire, dans le seul but de se faire entendre, qu'il n'avait pas ses 500 signatures pour cause de complot.

Honte aux sondeurs, non seulement parce qu'ils se sont fourvoyés, comme toujours d’ailleurs, mais aussi pour avoir fait ce qu’il fallait pour que Le Pen soit le "troisième homme", place très convoitée puisqu'elle a donné l'image d’une solution alternative aux deux sortants dont la plupart ne voulaient plus (lorsque candidat FN était à 14% dans les sondages, le chiffre brut était de 7%, correctif de 200%, établi à tâtons dans le noir de l’incertitude)... Le phénomène Le Pen a été fabriqué pour faire peur et pour que l’électeur se réfugie au dernier moment sur un vote ‘utile’ Jospin-Chirac, mais l’effet fut pour le moins inversé… « A partir du moment où Le Pen apparaissait comme le seul capable de bouleverser le duel annoncé entre Jospin et Chirac, il a pu attirer sur son nom un certain nombre d'électeurs qui ne se seraient pas déplacés s'il n'avait pas été en mesure de troubler le second tour », écrit Libération en ce jour du 22 avril, journal qui ferait bien de rougir de honte sur ce sujet comme sur tant d’autres. Qui sème le vent de la peur récolte des monstres tempétueux !

Honte à cette clique médiatique qui nous a si longtemps pris pour des imbéciles à coup de Chirac-Jospin Jospin-Chirac, 48-52 51-49 50-50 52-48... : à vouloir décider en lieu et place du peuple souverain, effacer les enjeux du premier tour et remplacer le suffrage universel par les sondages, on a décidément de drôles de surprises (c'est à peine d'ailleurs si tout ce beau monde ne jubilait pas de s'être magistralement planté pendant des mois et d'avoir un bon 'scoop' pour les jours à venir, avec tout ce que cela promet d'audience...) Et quelle pitoyable retransmission médiatique de la campagne, quelle médiocrité du débat public ! On attendrait mieux d’un service public digne de ce nom… Mais quand on voit Vizzavi, entreprise « pan-européenne » filiale de Vivendi, parrainer la soirée électorale sur France 2, on est en droit de se poser de légitimes questions sur l’état de ce service…

Honte aussi au PS et au RPR, tous deux à moins de 20% des suffrages exprimés, pour avoir provoqué tant de dégoût, tant de désespoir, de dépolitisation, d'amertume chez les Français, réduits à protester dans des votes pour la plupart stériles ou dangereux... Honte à Chirac qui s'est complu dans la mare sécuritaire sans avoir mis sur le tapis commun les vraies grandes questions de la France d'aujourd'hui, honte à lui de ne pas avoir démissionné tout en étant si entaché par les affaires judiciaires, et avec lui l’image de la France et de l’Etat. La corruption, si elle rapporte à court terme dans son petit pré carré, finit toujours par coûter cher, au peuple français en l’occurrence... Honte aussi à Jospin d'avoir bradé les valeurs de la gauche, et d'avoir cédé trop facilement aux intérêts du Capital mondialisé et aux Puissances de l'Argent, en négligeant les travailleurs au nom de la nécessité économique... C'est Jospin (et, avec lui, la danseuse du ventre Aubry, les balladuriens Strauss-Kahn et Fabius, et j’en passe) qui est la cause de l’éclatement de la gauche, du vote-refuge chez les trotskystes, de la nécessaire dissidence de Chevènement, d'une grande part de l'abstention... Ah, si Jospin ne s'était pas 'blairisé', soupirent certains ex-socialos !

Honte à tous deux qui ont cru pouvoir faire l’économie de la raison et de l’argumentation en usant de moyens communicationnels démesurés, en vendant leurs propositions comme on vend une lessive.

Honte aussi à tous ceux qui, sans cesse, veulent nous faire croire que la mondialisation sans règle et sans peuples est heureuse, que les valeurs républicaines françaises de Liberté, Egalité, Fraternité, Laïcité sont démodées, que le passé est méprisable parce que dépassé, et que tout ce qui symbolise la France est bon à jeter aux orties... C'est sans compter sur l'image de notre pays, de ses faits et gestes, dans le reste du monde qui attend de lui autre chose que de graisser la patte aux américains ou d'engraisser la xénophobie... 

Et puis tristesse infinie que d'être condamné à choisir entre le candidat de la France du déclin et celui de la France xénophobe... pour tout dire entre deux démagogues...

Quel paradoxe que de voir Chirac vrai vainqueur (?) de cette élection où la protestation contre l'Establishment politique n'a jamais été aussi forte ! « Cinq ans de Chirac ferme, constitutionnellement incompressible, ce n'est pas un quinquennat, c'est une condamnation » ! 

Certes, virons sans tarder Le Pen, mais ne nous arrêtons pas en chemin : c'est Chirac Jacques qu'il faut aussi abattre en vol. Il ne suffit pas que les Bien-pensants de tous bords sortent leur panoplie anti-fasciste et se drapent de leur bonne conscience humanitaire : il faut nous ressaisir et redresser la barre du bateau politique. Le fatalisme des petits est la meilleure arme des puissants... Faites passer le mot.

Combien sont allés à la pêche, combien se sont dit "ça ne m'intéresse pas, ça ne me concerne pas, je m'en fous, de toute façon, ça ne changera rien" au lieu de s'informer de l’actualité, de s'instruire sur les programmes des différents candidats, sur l'histoire politique du siècle et en deçà, de réclamer des comptes aux élus, de se forger un jugement politique à la force du poignet ? Bref, d’accomplir leur devoir de citoyen, qui ne doit pas se limiter au devoir de voter…

Voyons les choses en face. Il ne suffit pas maintenant de pousser de petits cris de puceaux devant le résultat de cette élection. Nous sommes un peuple souverain, nous sommes en régime démocratique, et par conséquent nous sommes tous un peu responsables de ce qui nous arrive, quand bien même cela ne nous conviendrait pas... Il nous appartient à nous de descendre sur la place publique (je ne fais pas allusion aux manifestations circonstancielles qui animent nos quartiers ces derniers temps qui se composent en grande partie de jeunes lycéens et lycéennes misant tout sur la diabolisation, ce qui pourrait provoquer des effets pervers non souhaités) pour faire entendre la voix de la raison, la voix de la justice, la voix de l'égalité républicaines... Nous n'avons pas été assez convaincants, nous n'avons pas été assez présents dans l’agora durant cette campagne, cet espace public qui se trouve entre nos bouches et nos oreilles réciproques et dans lequel nous pouvons jeter nos opinions et pensées afin d’en débattre : il n’y a pas de démocratie sans peuple, et pas de peuple sans débat, sans volonté commune et conscience politique. Il nous faut toujours lutter contre la tentation de la foule, de l’agrégat de consommateurs individualistes qui n’ont que cure de l’intérêt général. Sans doute n'avons-nous pas assez pris au sérieux cette exigence démocratique, sans doute avons-nous trop écouté la voix doucereuse de la petite boîte à images qui modèle les âmes...

Ils sont nombreux nos ancêtres qui se sont battus pour une France estimable, pour la République, pour la Démocratie, pour ces valeurs universelles qui rendent possible la coexistence pacifique de toutes les différences, pour la séparation du public et du privé, de l'Etat et de l'Eglise, pour l'idée de citoyenneté (c'est-à-dire l'engagement politique de chacun, à tout moment), pour une école publique et nationale qui transmette des savoirs et des valeurs au lieu de produire simplement de la main-d’œuvre servile et débile ou reproduire l’ordre social, oui, ils sont nombreux ces grands hommes trépassés qui se retournent aujourd'hui dans leurs tombes (certes pas pour la première fois, et sûrement pas pour la dernière… comme quoi, c’est plutôt mouvementé une vie de mort…) de voir ainsi souillée la France par ces deux candidats de second tour qui ne sont, à vrai dire, que les deux faces d'un même déclin !

Les législatives seront essentielles, ainsi que toutes les élections qui suivront. Le politique reste le lieu de la légitimité, du débat démocratique, si nous le voulons, si nous y croyons, et si nous agissons en fonction... ne cédons pas à la honte pour nous-mêmes, reprenons-nous ! Rien n'est jamais définitivement perdu dans les affaires humaines.

Cela ne se fera certes pas sans effort. La République, la Démocratie, ce sont des choses pour lesquelles des hommes se sont battus, et rien n'indique clairement que cet éternel combat devra cesser un jour. On ne construit pas sans conflit. Il ne suffit pas d'attendre en contemplatif que l'histoire se déroule sous nos yeux hagards. Le train passera toujours sans crier gare devant les vaches insouciantes...

Prenons froidement la mesure de cette protestation jamais vue ni entendue dans l’histoire des élections présidentielles. Il nous faut comprendre et entendre le pourquoi de ce vote. Les électeurs de Chirac et de Le Pen doivent avant tout être considérés comme des citoyens, c’est-à-dire des êtres capables de raison. Il dépend de nous de les convaincre de changer leur avis, il le faudra bien, et surtout de leur proposer une autre voie, plus solide, plus généreuse et plus riche d’avenir que celles du social-libéralisme ou du nationalisme xénophobe.

Puisse cette situation désastreuse nous aiguillonner suffisamment pour nous réveiller et nous tenir en éveil pour les années à venir.

La politique, c'est notre affaire à tous !

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