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21 janvier 2008

L’homme de la rupture des digues civilisationnelles

La laïcité bafouée par le Président Sarkozy

Sarko_AbdallahTreize. C’est le nombre de fois que Nicolas Sarkozy a cité « Dieu » dans son discours de Ryad, en Arabie Saoudite ce lundi 14 janvier, devant le roi Abdallah. Pas seulement comme un concept théorique. Mais en s’impliquant personnellement, par un acte de reconnaissance et de foi. C’est la laïcité qui en est ébranlée.

Dieu en République

En effet, ce n’est pas seulement le mot “Dieu” qui a été cité, comme nom commun ou encore dans une expression courante, mais c’est la “réalité divine” elle-même qui a été convoquée. Non par l’individu Nicolas S. dans un cadre privé, ce qui n’aurait rien eu de choquant, mais par le Président N. Sarkozy en représentation publique. Au nom de la France. Jamais avait-on vu ça en République, du moins pas depuis la loi de séparation entre les Eglises et l’Etat de 1905, que le Président ne désespère pas de « toiletter » prochainement [1].

C’était presque du Bush dans le texte… Car non content de suivre la ligne diplomatique des Etats-Unis, il fallait encore que notre Président tente d’aligner la France sur la religiosité américaine. Notons le côté cocasse de ce discours prononcé dans une monarchie pétrolière, devant les représentants d’un Islam dont l’interprétation laisse souvent à désirer. A quelques jours d’écarts seulement de la visite officielle de Georges W. Bush dans le même pays, sur fond de conflit “civilisationnel” avec l’Iran voisin.

« Sans doute, Musulmans, Juifs et Chrétiens ne croient-ils pas en Dieu de la même façon, a scandé le Président français. Sans doute n’ont-ils pas la même manière de vénérer Dieu, de le prier, de le servir. Mais au fond, qui pourrait contester que c’est bien le même Dieu auquel s’adressent leurs prières ? Que c’est bien le même besoin de croire. Que c’est le même besoin d’espérer qui leur fait tourner leurs regards et leurs mains vers le Ciel pour implorer la miséricorde de Dieu, le Dieu de la Bible, le Dieu des Evangiles et le Dieu du Coran ? Finalement, le Dieu unique des religions du Livre. Dieu transcendant qui est dans la pensée et dans le cœur de chaque homme. Dieu qui n’asservit pas l’homme mais qui le libère. Dieu qui est le rempart contre l’orgueil démesuré et la folie des hommes. Dieu qui par-delà toutes les différences ne cesse de délivrer à tous les hommes un message d’humilité et d’amour, un message de paix et de fraternité, un message de tolérance et de respect. » Et surtout, pas un mot sur la laïcité, cette invention républicaine, alors que nombreux sont ceux qui dans les pays arabes s’en revendiquent dans leurs luttes pour la liberté de conscience. Le moins qu’ils pouvaient attendre d’un Président de la France, c’est qu’il s’en fasse le héraut et le promoteur...

Le chanoine Président

Déjà le 20 décembre dernier, lors de sa “chanoinisation” à Saint-Jean de Latran, les propos qu’il avait tenus laissaient transparaître cette même transgression présidentielle. « Ceux qui ne croient pas, avait-il dit, doivent être protégés de toute forme d’intolérance et de prosélytisme. Mais un homme qui croit, c’est un homme qui espère. Et l’intérêt de la République, c’est qu’il y ait beaucoup d’hommes et de femmes qui espèrent. […] Dans la transmission des valeurs et dans l’apprentissage de la différence entre le bien et le mal, l’instituteur ne pourra jamais remplacer le curé ou le pasteur. » Les enseignants de l’école laïque ont apprécié le message. Et tous les républicains avec eux [2].

Nicolas Sarkozy a visiblement fait un rêve. C’est que les religions fassent le travail d’intégration, de moralisation que la République n’assumerait plus dans la société civile, y compris dans les banlieues. Il faut que les gens croient. Il faut plus de curés, plus d’imams, plus de rabbins... Voilà donc son plan "sécurité", s’appuyant sur une théorie de l’utilité sociale des religions. Avec évidemment, comme sous-entendu, que l’athéisme serait une cause de déclin. C’est en fait une tentative de privatisation de l’espérance, et l’abandon officialisé de l’idéal républicain comme porteur d’une exigence de dépassement de soi (un citoyen, c’est plus qu’un individu ; la République, c’est plus que la somme de ses citoyens).

La ligne rouge de la laïcité est donc bel et bien franchie. Car Nicolas Sarkozy est maintenant Président de tous les Français et non plus l’homme privé qui écrivait en 2004 : « Je me suis toujours dit qu’il y avait de l’arrogance dans la certitude de la non-existence divine » [3]. Or un président, s’il est digne de la République, ne doit pas laisser entendre une quelconque préférence, ni entre les différents types de croyances, ni même entre un croyant, un non-croyant ou un agnostique (celui qui ne sait pas). Sauf à mettre la laïcité en danger, au nom d’une laïcité dite “positive” ou “ouverte”.

En rupture de digues

En fait, Nicolas Sarkozy confond tolérance et laïcité. La tolérance, c’est un rapport (possible et souhaitable) entre individus qui se respectent malgré leurs différences. C’est une vertu d’ordre privé (individuel ou collectif, peu importe). La laïcité, c’est un principe de base de la République qui garantit la neutralité de l’espace public. C’est l’exigence de séparation entre le public et le privé, entre le citoyen et l’individu, entre l’homme politique et l’homme privé. Nicolas Sarkozy est en train de rompre des digues séculaires, acte qui pourrait bien nous mener vers des catastrophes prochaines. Ce n’est pas un hasard que le même Sarkozy, qui mélange fonction présidentielle et frasques amoureuses, qui ouvre les vannes de la pipolisation de la politique, s’en prenne aussi la séparation entre le politique et le religieux.

Sarkozy est bien l’homme de la rupture, mais de la rupture de ces digues anthropologiques que nos ancêtres ont pourtant mis tant d’années à élaborer. Attention danger ! Car une fois que les vannes sont ouvertes, les flots qui se mettent à déferler deviennent difficiles à contrôler. Jusqu’à présent, un homme public (politicien, journaliste...) n’a pas à exposer sa croyance dans l’exercice de ses fonctions. Un député, par exemple, ne peut pas revendiquer en tant que tel son appartenance religieuse. Qui pourra l’empêcher à l’avenir dès lors que le Président lui-même montre la voie ? L’Espagne vient de reconnaître la secte de la Scientologie comme une religion. Si la République a besoin d’hommes qui espèrent, donc d’hommes qui croient, selon la logique sarkozyenne, qui pourra empêcher la même dérive en France [4] ?

“A bas tous les codes - vive l’informel - ; dehors toutes les vieilleries - vive le neuf, le clinquant (bling-bling) - ; stop à la rigidité - vive la souplesse, la flexibilité, la mobilité - du passé faisons table rase - écrivons l’avenir comme sur une ardoise vierge - ; et jouissons sans entrave, enfin décomplexés…” Voilà l’essentiel du message présidentiel depuis le début de son mandat. Cela ne sonne-t-il pas comme une vieille rengaine qui n’en finit pas de produire ses effets destructeurs sur notre bien commun, la Res Publica ?

[1] « Ce sera fait durant le quinquennat », affirme Emmanuelle Mignon, directrice de cabinet de l’Elysée, citée par le Canard Enchaîné du 23 janvier 2008. « Le Président a la volonté d’avancer sur les conditions d’application de la loi de 1905. Et notamment en élargissant la notion d’association cultuelle. » Les congrégations religieuses sont concernées, tout comme les sectes : Témoins de Jéhovah ou encore Eglise de Scientologie. Plus récemment, Michèle Alliot-Marie, Ministre de l’Intérieur et donc des Cultes, revenant sur les critiques concernant les positions du Président, affirmait : « certains ont une conception assez archaïque, voire sectaire, de la laïcité ». Et de préciser : « certaines modalités de la loi de 1905, qui créent des entraves à l’exercice des cultes, doivent être adaptées ». La Croix, 25 janvier 2008

[2] Y compris évidemment de nombreux croyants. Ainsi, le quotidien La Croix qui donne le titre "Excès" à un éditorial revenant sur les différents propos du Président postulant des « racines essentiellement chrétiennes de la France » ou encore qu’il n’y a de morale que religieuse : « Le christianisme fait partie de l’identité nationale, mais n’en définit pas l’essence. [...] La religion est une grande chose qui ne mérite ni cet excès d’honneur, ni cette indignité ».

[3] Dans son ouvrage, où il dialogue avec un prêtre dominicain, intitulé La République, les religions, l’espérance. Habituellement, ce sont les fanatiques de toutes les religions qui parlent de l’arrogance des infidèles, des athées ou des mécréants...

[4] Le ministre Nicolas Sarkozy s’était entretenu le lundi 30 août 2004 avec un des représentants les plus célèbres de la Scientologie, l’acteur américain Tom Cruise, dont il a affirmé admirer « l’oeuvre ».

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