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8 mai 2008

La résistance en Alsace

La résistance en Alsace

 

 

kurier1REPERES CHRONOLOGIQUES – ARRIERE PLAN HISTORIQUE

 

  • 1933 : Hitler parvient au pouvoir par voie démocratique, mais il se proclame rapidement dictateur. Les premiers camps de concentrations sont ouverts d’abord pour y emprisonner les opposants politiques. Ensuite, Hitler se retire de la SDN et de la conférence de désarmement de Genève, puis enchaîne les provocations.
  • 1934-1935 : l’Allemagne se remilitarise, en violation du traité de Versailles signé en 1919 (navires de guerre, service militaire, augmentation des effectifs…) avec le partenariat de grandes compagnies américaines comme Ford...
  • 1936 : Hitler réoccupe militairement la Rhénanie, sur la rive gauche du Rhin, au Nord de l’Alsace.
  • Mars 1938 : l’Autriche est annexée. Quelques protestations verbales de la France et de la Grande-Bretagne.
  • Septembre 1938 : Hitler revendique les Sudètes, une partie de la Tchécoslovaquie dont le dialecte est germanophone ; les accords de Munich sont signés (Fr ; GB ; It ; All). Hitler promet en échange une paix de 1000 ans, jure qu’il n’en demandera pas plus. L’armée tchèque qui avait commencé à mobiliser doit ranger les armes. On proclame avoir "sauvé la paix".
  • Septembre 1939 : c’est l’invasion de la Pologne, écrasée en quelques jours par les nombreuses divisions blindées allemandes (suite à la mise en oeuvre par Guderian de la doctrine de De Gaulle). La France déclare la guerre à l’Allemagne, mais la drôle de guerre commence. Les armées françaises restent à l’abri derrière la ligne Maginot construite à partir de 1930 (et dont il reste de nombreuses traces visitables en Alsace, particulièrement au nord de Haguenau). Elle a été efficace, puisque les Allemands ont dû la contourner. Aucun fort n'a été pris militairement.
  • Dès le 2 septembre 1939, le calvaire des Alsaciens commence. En effet, le long du Rhin, sur une bande de plusieurs kms, tous les villages sont évacués préventivement. Les habitants sont déplacés vers le Sud-ouest de la France. 430 000 évacués, soit presque 1/3, par rapport à la population de l’époque. Strasbourg est vide d’habitants, mais les nazis organisent la propagande d’un soi-disant peuple acclamant l’arrivée des troupes allemandes.
  • 10 mai 1940 : les divisions blindées allemandes envahissent la France par les Ardennes, là où on ne les attendaient pas du fait du terrain escarpé.
  • 14 mai : les ponts strasbourgeois sont dynamités. Au total, 250 ponts routiers et ferroviaires seront détruits en Alsace-Lorraine.
  • En quelques semaines l’armée française est défaite : c’est la débâcle. Le 14 juin 40, Paris est occupée.
  • Il y a eu un front alsacien, mais qui n’a été que d’une faible importance et a débuté tardivement, à la mi-juin, quand la Wehrmacht était déjà dans Paris et à Orléans. En effet, le 15 juin, une petite partie de l’armée allemande franchit le Rhin sur des bateaux en caoutchouc au niveau de Colmar et Sélestat.
  • Le 18 juin, le jour de l’appel du Général de Gaulle à la Résistance, depuis Londres, Mulhouse tombe. Le 19, le drapeau nazi flotte sur la cathédrale de Strasbourg. Le 21 juin, c’est au tour d’Altkirch.
  • Le 22 juin, l’armistice est signé, les armes sont déposées.

 

800px-France_map_Lambert-93_with_regions_and_departments-occupation-frLa France est alors divisée en plusieurs zones. Les deux principales : une zone occupée au nord, au sud une zone dite libre dont la nouvelle capitale est Vichy et dont le nouveau chef de gouvernement est le Maréchal Pétain auquel de nombreux Français font encore confiance pour éviter le pire.

Dans la France occupée ou dans la France de Vichy, la Résistance va mettre un certain temps à s’organiser. Cela sera particulièrement difficile en Alsace

 

 

POURQUOI ? QUELLES SONT LES PARTICULARITES DE LA SITUATION ALSACIENNE ?

 

Assez vite, contrairement aux accords d’armistice, l’Alsace et la Moselle vont être considérés comme des régions annexées. Le but est la germanisation des habitants, considérés comme des Allemands de race, selon les conceptions des nazis qui souhaitaient la constitution d’une grande Allemagne au cœur de l’Europe, peuplée de 250 millions de germains de pure souche.

Le 28 juin 1940 : Hitler se rend à Strasbourg et à la Cathédrale, puis au col de la Schlucht où il jure de conserver « pour toujours cette belle région ».

Karte des „Gau Oberrhein“ von 1944Les nazis vont rapidement faire disparaître l’organisation administrative de l’Alsace et de la Moselle. Le but est la création d’une nouvelle région Alsace-Bade, appelée "Région du Rhin supérieur" (Oberrheingau), sous la direction du Gauleiter Robert Wagner, un ami de longue date de Hitler, chargé de germaniser l’Alsace en 10 ans. Les nazis manifestent une volonté d’effacer toute identité française mais aussi alsacienne. La langue française est interdite, tout comme le dialecte alsacien est interdit (son usage ayant été considéré comme "une protestation muette des Alsaciens contre le régime allemand"), au profit du "bon allemand".

Dans son discours à Strasbourg le 28 mars 1943, le Gauleiter Robert Wagner affirme : « Si un alsacien vient et me déclare : ‘je ne suis pas un allemand, mais je suis français, c’est-à-dire je me considère comme français’, je ne puis que lui répondre : ‘tu n’es pas un Français, tu es un traître allemand [...] Aussi devras-tu comprendre qu’on se débarrassera rapidement de toi’ ». Le message avait le mérite d’être clair.

Les préfets sont expulsés, tout comme les fonctionnaires qui ne sont pas de « race » germanique, selon les critères nazis. Dès juillet 1940, 10000 Juifs sont chassés d’Alsace. On expulse aussi des Alsaciens trop ostensiblement pro-français... On compte environ 45000 expulsions d’« indésirables » entre juillet et décembre 1940 : 2 h pour se préparer et 50 kg d’affaires au maximum.

Sur les 6200 instituteurs alsaciens qui reste alors en place, 5000 ont dû aller en Allemagne pour y subir une « rééducation » à la vision du monde nazi. Pendant ce temps, 5000 Lehrer allemands les remplacent pour lutter contre « l’esprit français dégénéré » : la France, pays de la paresse, du mélange des races, de la domination juive... On a voulu enseigner la fidélité au sang et à la race dès l’école primaire.

Tout ce qui pouvait symboliser la France a été interdit : le port du béret, l’usage de la langue française (on pouvait être dénoncé et condamné pour un simple « merci » en français).

Le 2 juillet 40, la décision est prise de remplacer les noms de communes, les panneaux indicateurs, les noms de rue, et même les noms de famille, par des noms allemands. En novembre 1940, les familles mixtes (une Alsacienne et un "Français de l'intérieur" ou l'inverse) sont convoquées afin de signer une déclaration de soumission au Reich.

En décembre, les bibliothèques sont purifiées. Il y eut aussi des appels officiels à l’autodafé, c’est-à-dire à brûler sur la place publique, lors de jours indiqués, tous les livres français ou pro-français... toute cette « littérature pourri, moribonde, décadente » de la France, comme on pouvait le lire sur des tracts. Le premier acte de résistance de certains Alsaciens a été de cacher des livres au fond d’une armoire, sous leur plancher ou dans leur grenier.

L’oppression allemande n’a pas été seulement humaine, mais elle a aussi été matérielle et économique, par le pillage des ressources, exportées vers l’Allemagne. Les usines ont été réquisitionnées et reconverties vers l’industrie de guerre, comme par exemple l’usine Bugatti à Molsheim.

En avril 1941, c’est construction du camp du Struthof où les prisonniers connurent d’effroyables conditions de survie, quand ce n'était pas des « expérimentations » scientifiques dans leur chair. C’est un camp sans équivalent sur le reste du territoire français. On y comptera environ 10 000 victimes. Au total, près de 15 000 Alsaciens ont été à un moment ou à un autre arrêtés par la police allemande pour une période significative : cela fait environ 1,5% de la population, soit proportionnellement 7 fois plus que sur le reste du territoire français.

La population alsacienne est fortement heurtée par la brutalité des méthodes nazies. Et beaucoup se sont lancés dans la voie de la résistance, par différents moyens.

 

 

QUELS ONT ETE LES MOYENS DE LA RESISTANCE ? COMMENT A-T-ON RESISTE ?

 

  • Par le mépris et la passivité.

La résistance alsacienne (comme la résistance française en général) a été pour une grande partie une résistance passive, c’est-à-dire que de nombreux alsaciens ont « traîné des pieds » devant l’occupant. La résistance active, opérationnelle, fut extrêmement difficile en raison du contrôle permanent, du quadrillage militaire et policier.

On l’a vu, les moyens mis en œuvre par les nazis et les partis alsaciens pro-allemands pour germaniser l’Alsace ont été très importants. Mais les résultats ont été rapidement et officiellement jugés comme très décevants… Les nazis vont alors se méfier des Alsaciens.

Un officier allemand témoigne : « quand nous sommes entrés en Autriche, il y eut des gens pour nous acclamer, car nous avions déjà nos organisations là-bas. En Tchécoslovaquie, on nous a lancé des pierres, en Pologne, on nous a tiré dessus. Mais la pire réception nous attendait en Alsace, où nous fûmes partout accueillis par le silence et le mépris ».

Ainsi, le 22 juin 1941 à Colmar lors d’une visite officielle du Gauleiter Wagner, l’accueil de la population est glacial, le silence est complet sur son passage malgré l’important cortège, seuls quelques Allemands, venus expressément, criaient ‘Heil Hitler’.

 

Au début de l’été 41, un résistant met en place un groupe qui lui permet de rédiger un rapport dit rapport d’Alsace destiné au gouvernement de Vichy et au général De Gaulle. Il y est question de « l’attitude pro-française » de la population alsacienne qui, de l’aveu même des Allemands est hostile au nazisme à 90-95%. Un second rapport est publié début 1942. On y apprend que les paysans alsaciens traînent fortement les pieds devant les nazis. Ainsi, des collectes d’œufs ont été organisées par les autorités nazies. La fourniture des œufs a donné de bons résultats dans le pays de Bade, mais de très mauvais en Alsace : l’Alsace entière (tous ses arrondissements) « n’a pas fourni autant d’œufs qu’un seul arrondissement du pays de Bade », dit le rapport ! On peut peut-être imaginer que les poules alsaciennes étaient bien malades... Les récoltes de pommes de terre ont aussi connu un déclin en Alsace (une des ruses consistait à creuser un trou dans la cave pour y mettre la récolte, couvrir de terre, et ne laisser qu'une partie visible à destination du collecteur officiel).

Malgré d’importants efforts, le NSDAP (le parti nazi) restera toujours un corps étranger en Alsace. Le système ne tenait que grâce à la terreur et au chantage. Certes, beaucoup d’Alsaciens étaient inscrits dans une des différentes organisations nazies (syndicats, associations, etc.), mais rares sont ceux qui l’ont fait volontairement. L’Alsace comportait environ 1 million d’habitants en 1940, mais seulement 30 000 membres volontaires du NSDAP c’est-à-dire 3% de la population, malgré les fortes pressions et les réelles menaces souvent exécutées, alors qu’en Allemagne, c’était bel et bien un parti de masse.

 

  • Par des actes isolés et spontanés.

De jeunes lycéens. En novembre 1940, le drapeau nazi flottait à un mât de la cour du lycée Bartholdi de Colmar. Une nuit, il est arraché par des élèves qui le remplacen par une pancarte où il est inscrit : « vous avez vu ce drapeau pour la dernière fois. Le mât peut encore servir pour pendre Hitler. Vive la France ! ». Les mêmes lycéens reviennent quelques jours plus tard pour mettre des drapeaux français sur des portes du lycée et pour y inscrire « Vive la France ». Mais, sans doute trahis, ils sont attendus par la Gestapo. Quatre d’entre eux sont jetés en prison pendant plusieurs semaines, tabassés, et l’un d’eux a été expulsé d’Alsace, loin de sa famille.

A l’école, il suffit d’un mot de travers, d’un mauvais comportement, pour être envoyé au camp de redressement de Schirmeck, ouvert dès août 1940, et livré au sadisme de son commandant qui a les pleins pouvoirs sur ses prisonniers (paradoxalement, le régime nazi était de ce point de vue très décentralisé et déconcentré).

Dans le même lycée de Colmar, des élèves ont inscrit au tableau d’une salle « A bas le directeur ! ». Celui-ci était un nazi. Il a immédiatement prévenu la Gestapo et si le coupable avait été découvert, il aurait eu droit à 3 mois de camp de redressement à Schirmeck.

De jeunes villageois. Pendant les années d’occupation, le 14 juillet, fête nationale française, fut régulièrement fêté en famille, où on levait le verre à l’avenir de la France... A Hochfelden, de jeunes villageois ont pris la décision de fêter publiquement le 14 juillet 1941, comme avant, malgré les risques. On se disait que si tout le monde s’y mettait, les nazis ne pourraient rien faire. Ainsi, le 13 au soir, les policiers allemands sont saoûlés et enfermés ivres. Le cortège se déploie le lendemain, des couronnes de fleurs sont déposées à côté du monument 14-18 qui avait été jeté dans la carrière par les Allemands. On chante la Marseillaise, Vous n’aurez pas l’Alsace et la Lorraine... Mais la Gestapo intervient et presque tous sont arrêtés : 106 jeunes gens ont été envoyés en rééducation au camp de Schirmeck.

A Waldighoffen, dans le Sundgau, de jeunes hommes ont déboulonné et immergé la statue de Jeanne d'Arc, symbole villageois de la guerre de 14/18, afin de lui éviter la fonderie.

Pensons aussi à ces femmes qui suspendaient leur linge en respectant les couleurs du drapeau national ou qui choisissaient les couleurs des fleurs de leur jardin... en toute innocence évidemment.

 

  • Par le refus de servir l’Allemagne.

A partir du 8 mai 1941, les jeunes Alsaciens sont obligés de participer au Service du travail du Reich (Reichsarbeitsdienst). C’est un service de 6 mois, où l’on évitait de mettre ensemble les jeunes d’un même village, qu’on mélangeait avec des Allemands. Ce fut un signal pour beaucoup de jeunes, une invitation à la fuite. Dans certains villages, la moitié des jeunes disparut !

En janvier 1942, la Hitlerjungend ("jeunesse hitlérienne"), instaurée en septembre 1940, est rendue obligatoire faute d'engouement de la population.

Par la suite, avec l’intensité croissante de la guerre, les nazis collent des affiches pleines de promesses pour appeler à des engagements volontaires dans la Wehrmacht qui devait augmenter ses effectifs. C'est un échec important : seulement 2100 personnes, en grande partie des jeunes Allemands venus après l’annexion, répondirent à l’appel.

D’où le décret du 25 août 1942 qui instaure le service militaire obligatoire pour les classes d’âge 1924 à 27 (15 à 18 ans), puis s'étend à 1908 (jusqu’à 34 ans). C’est le début de l’incorporation de force. Les premiers conscrits arrivent parfois avec le drapeau français. Les responsables nazis ont rapidement compris que les évasions, par les Vosges ou par la Suisse, allaient devenir massives, en parallèle des besoins grandissants de l'armée allemande. Le 19 septembre 1942, une zone interdite est définie entre l'Alsace, la Suisse et la France.

Après une première échappée réussie de 18 jeunes de Riespach, le 7 février 1943, des passeurs ont donné rendez-vous aux volontaires au lieu-dit de la croix de l'Espen dans le même village. Le bouche-à-oreille a été particulièrement efficace (pas de smartphone à l'époque), le soir du 11 février 1943, près de 250 jeunes, de plus de 20 villages jusqu'à Riedisheim ou Blotzheim, sont amassés avec pour objectif de fuir en direction de la Suisse romande. Les passeurs prennent peur et ne se présentent pas. Quelques dizaines de jeunes rentrent chez eux. Les 183 restants prennent la décision de cheminer, évitant les routes dans des conditions nocturnes difficiles, pour parvenir à la frontière entre Moos et Pfetterhouse (François Grimler, l'un des deux derniers survivants m'a raconté que la colonne est passée entre Moos et Niederlard - actuellement Mooslargue -, à l'endroit même où je lève mes yeux en rédigeant ces lignes). En plus de la déportation immédiate du maire au camp de Schirmeck, 26 familles entières sont déportées sur ordre du Gauleiter Wagner.

La potence du camp du Struthof en AlsaceAprès le refus massif des Alsaciens de s’inscrire volontairement au NSDAP, puis l’échec humiliant de l’engagement volontaire, la mobilisation sans commune mesure et totalement inattendue de l’Espenkolonne face à l’incorporation de force fait franchir un nouveau seuil dans la répression des résistances et réticences alsaciennes. Le drame de Ballersdorf est le symbole cruel de cette violence inouïe de la réaction nazie. Les 12 février 1943, dix-huit jeunes gens, ayant eu vent un peu trop tard de l'épopée riespachoise, ont aussi décidé d’éviter l’incorporation. Beaucoup moins nombreux, ils ont remonté la voix ferrée de la vallée de la Largue, mais trois sont tués dans un accrochage à Seppois. Les autres sont arrêtés le lendemain (sauf un) puis fusillés quelques jours plus tard dans la carrière du Struthof, sans aucune forme de procès. Leurs familles sont amenées au camp de Schirmeck avant d’être déportées en Allemagne. Il fallait faire un exemple et terroriser les réfractaires potentiels, d'autant plus que 87 autres jeunes étaient partis depuis Oltingue dès le 13 février.

La surveillance sera renforcée (tir sans sommation dans les zones interdites) et la répression fut globalement très féroce. De nombreux réfractaires sont envoyés au camp de Schirmeck. Leurs familles sont  menacées de déplacement dans le Reich pour avoir « manqué gravement au devoir d’éducation ». L'ordonnance du 1er octobre 1943 a en effet établi la responsabilité collective du clan en cas de défaillance d'un appelé, avec incitation à la délation... La déportation de vieillards ou d'enfants en bas-âge n'a pas posé de cas de conscience aux autorités nazies (que ce soit un vieillard de 93 ans ou un bébé de 1 an, comme c'est arrivé entre autres à Wolschwiller). Les habitations des familles de réfractaires ont été confisquées auprofit de familles allemandes.

La toile de fond du drame des Malgré-Nous est en place. En tout, 130 000 Alsaciens et Mosellans ont dû aller au front pour se battre sous le drapeau nazi. Un tiers n’en reviendra pas. Les nazis les ont envoyés sur le front de l’est pour éviter qu’ils ne désertent et passent en France, car du côté russe, il y avait moins de risque de désertion. Ceux qui s’y risquent sont souvent emprisonnés dans les camps de prisonniers chez les Soviétiques, considérés comme de simples Allemands, comme dans le camp de Tambov (près de 15000 Malgré-Nous alsaciens et mosellans y sont passés) ou encore en Croatie.

En 1942, les dirigeants nazis ne se font plus d’illusion sur l’hostilité de la population alsacienne. Il y eut des menaces de régler le cas alsacien violemment : par la dispersion des Alsaciens dans le Reich et la colonisation de l’Alsace par des nazis allemands, mais heureusement, les nazis n’en eurent pas le temps, la guerre devenant de plus en plus pesante.

Le 21 juin 1944, Gottlob Berger, en charge à Berlin du recrutement des Waffen SS, écrit un télégramme à Heinrich Himmler : "Les Alsaciens sont, sauf votre respect, un peuple de salauds. Ils croient déjà au retour des Français et des Anglais, et se sont montrés ces jours-ci particulièrement hostiles et haineux".

 

  • Par des filières de passeurs, facilitant les évasions de prisonniers de guerre ou de réfractaires.

Durant la guerre, l’Alsace est une grande filière d’évasion des prisonniers de guerre. La plus célèbre étant l’évasion du général Giraud, par Liebsdorf, le 18 avril 1942, qui a été permise par des Alsaciens, au prix de leur vie. De nombreuses jeunes femmes ont aussi aidé les prisonniers à rejoindre la frontière française ou suisse, grâce à leur connaissance du terrain.

Dans le Sungdau, des centaines de jeunes, déserteurs du service militaire obligatoire, passent la frontière suisse, malgré la zone de surveillance renforcée. Les très nombreux passeurs, agriculteurs, forestiers ou contrebandiers (tous n'agissaient pas forcément par anti-nazisme) risquaient quant à eux la prison ou l’exécution. On peut y ajouter toutes les personnes qui ont à un moment ou à un autre caché, nourri, pris soin d'évadés ou de réfractaires, souvent spontanément.

 

  • Par la création de réseaux de résistance.

Dès 1940, de nombreux petits réseaux organisationnels se mettent en place. Le principe en est souvent le même : on crée des cellules de 3 à 4 membres, liés par serment. Chaque cellule se constitue alors un réseau de sympathisants, non initiés à l’organisation secrète, afin de limiter les dégâts en cas de trahison. Leur objectif : contribuer à la libération de l’Alsace le moment venu ; prendre alors en main l’administration locale pour éviter les troubles jusqu’à l’arrivée des autorités françaises ; en attendant, faire de l’espionnage, de la transmission d’informations vers la France…

Il y eut d’abord quelques groupes isolés, opérant au hasard. Par exemple, près de Saverne où les berges du canal de la Marne au Rhin sautèrent plusieurs fois.

Puis des réseaux plus organisés font leur apparition :

- dans le Haut-Rhin, à Thann, la « 7ème colonne d’Alsace », un des premiers réseaux de France, est créée le 1er septembre 40.

- en septembre 1940, le jeune Marcel Weinum de Brumath (alors âgé de 16 ans seulement) constitue un réseau de résistance, « La Main Noire ». Le 8 mai 1941 à Strasbourg, avec un comparse, il jette une grenade sur la voiture de Wagner. Ils sont arrêtés peu après. L’un est abattu à bout portant en décembre 1941 au camp de Schirmeck. L’autre est exécuté le 14 avril 1942 à la prison de Stuttgart.

- à Strasbourg, le Dr Bareiss créé lui aussi un réseau en janvier 1941, le « réseau Bareiss ». C’est un mouvement gaulliste branché sur Londres. On cherche à recruter des aides efficaces dans toutes les administrations et industries (à titre anecdotique, mon grand-père en était membre, en tant que directeur de la cimenterie d'Altkirch dans le Sundgau, industrie stratégique en temps de guerre). Vers mi-41, c’est fait. Cela permet à la résistance française et au général de Gaulle d’être au courant des mesures prises par les Allemands.

- le « Front de la jeunesse alsacienne » est créé au printemps 1941 par des étudiants et des responsables de mouvements de jeunesse d’avant guerre, en particulier le scoutisme catholique. Ils contribuent à l’organisation des filières de passeurs pour les prisonniers de guerre, font aussi du renseignement dans les administrations, et fabriquent de fausses cartes d’identité.

 

Malheureusement, de très nombreux groupes sont démantelés fin 1942, lors d’une grande contre-offensive de la Gestapo. Leurs chefs sont exécutés en 1943 pour la plupart ou condamnés aux travaux forcés à perpétuité.

 

  • La Résistance des Alsaciens de l’intérieur :

La résistance alsacienne s’est aussi développée dans le sud de la France où nombre d’Alsaciens étaient restés suite à l’évacuation de 1939, rejoints plus tard par les déserteurs.

Un comité directeur de la Résistance alsacienne est ainsi constitué en 1942 dans la région de Lyon. Le Groupe Mobile d’Alsace Sud est créé autour de Périgueux, Toulouse et Limoges. Après la libération du sud de la France, il se regroupe sous le commandement d’André Malraux, l’écrivain et futur ministre de la culture de De Gaulle, et prend alors le nom de Brigade Alsace-Lorraine, intégrée au sein de la 1ère armée française du général De Lattre de Tassigny, débarquée le 15 août 44 en Provence et participe à la Libération de l’Alsace.

Enfin, la 2ème Division Blindée du général Leclerc, qui va libérer Paris ou encore Strasbourg, compte 1000 Alsaciens sur les 15 000 hommes de ses effectifs.

 

LA LIBERATION

 

La résistance sous forme de maquis a été très difficile en Alsace. Il y a toutefois quelques maquis dans les Vosges et dans le reste de l’Alsace à partir de l’été 1944, après le débarquement, lorsque le signal est donné. Des terrains de parachutages ont alors été prévus. Les résistants actifs ont servi de forces d’appui aux armées de Libération.

L’entrée des troupes alliées en Alsace débute le 19 novembre 1944, lors d’un hiver très rigoureux, avec l'arrivée de la Première armée française par les routes de Seppois-le-Bas et de Pfetterhouse en provenance du Territoire de Belfort. Le soir-même, après une épopée fulgurante, le peloton du lieutenant de Loisy trempe symboliquement son fanion dans les eaux du Rhin et lance une salve sur le territoire allemand.

Le 23 novembre 1944, Strasbourg est libérée par la 2ème division blindée, et le drapeau français flotte de nouveau sur la cathédrale, respectant ainsi le serment de Koufra, fait en Libye par le colonel Leclerc à ses hommes le 2 mars 1941 : « Jurez de ne déposer les armes que le jour où nos couleurs, nos belles couleurs flotteront sur la cathédrale de Strasbourg ».

Quelques semaines plus tard, Hitler lance sa dernière contre-offensive par les Ardennes, ce qui fait décider aux américains d’abandonner l’Alsace pour concentrer à nouveau les forces vers le nord. De Gaulle et ses généraux s’y opposent farouchement, jurant de mourir sur place plutôt que de voir les Nazis revenir et les laisser commettre un effroyable bain de sang, en représailles, à l’égard de la très grande partie de la population qui avait accueilli chaleureusement les armées alliées…

Ce n’est qu’en mars 1945 que la fameuse « poche de Colmar » est vidée de ses troupes allemandes. L’ensemble du territoire français est alors libéré. Mais la guerre n'est pas encore terminée.

            LAVARENNE Mathieu

 

Le pendant de cet article (à l'origine une modeste conférence à l'occasion de la rencontre avec un ancien résistant, Reymond Tonneau, étoffée lors d'une cérémonie commémorative intercommunale) reste à réaliser : "la collaboration en Alsace", active ou passive...

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Commentaires
N
Je vous remercie de cet article. Il est très intéressant tant sur le fond que sur la forme, car c'est très bien écrit.<br /> <br /> Moi aussi j’écris des articles sur des sujets très divers, et j'en ai ecrit un sur l'utilisation de l'encres invisible durant la 2nd GM, je laisse l'adresse http://www.encre-et-imprimante.fr/encre-invisible
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P
Très bon rappel de ce que fut la période d'occupation et l'attitude de résistance.<br /> Je voudrais savoir si un correspondant connaîtrait ce qu'avait été l'activité de passeur et de résistant dans le secteur Mulhouse / Grand Ballon. Quelqu'un sait-il quelque chose sur Tondre et Debenath ?
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T
Théâtre l’autre sentier<br /> Présente<br /> <br /> GEORGES WODLI<br /> De Fouad Alzouheir, auteur et metteur en scène<br /> <br /> <br /> 29, 30 et 31 mars 2011 à 20H00<br /> Palais des Fêtes de Strasbourg<br /> 9, rue Sellénick 67000 Strasbourg<br /> <br /> <br /> Billetterie : 8€ plein tarif et 5€ tarif réduit (étudiants, demandeur d’emploi, moins de 18 ans)<br /> Guichet du Palais des Fêtes (tél. 03 88 36 10 36) les 28, 29, 30 et 31 mars 2011 à partir de 14h00<br /> ou par mail theatreautresentier@gmail.com<br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> Hommage à la résistance du mouvement ouvrier alsacien contre le fascisme et contre le nazisme<br /> <br /> «Georges Wodli» est une pièce de Fouad Alzouheir qui s’inscrit dans le registre du théâtre documentaire dont les deux principaux personnages sont Gorges Wodli et un journaliste.<br /> Georges Wodli (1900-1943) est un alsacien, cheminot, dirigeant syndicaliste, responsable communiste et résistant, mort sous la torture par les nazis en 1943. Le journaliste, lui, est un personnage fictif. Son rôle est de guider le spectateur à travers les grandes lignes biographiques du héro pour saisir la logique de son engagement conduisant à sa mort courageuse. <br /> Dans cette pièce, fiction et réalité se côtoient dans les quinze tableaux qui en constituent l’armature. Les dialogues et les rencontres sont, partiellement, inventés ou plutôt provoqués. Néanmoins, leur authenticité n’est pas à mettre en doute. Car, au fond, il y a l’Alsace qui jalonne le sentier sinueux que Georges Wodli et ses camarades ont emprunté: Première Guerre mondiale, République des conseils de Strasbourg, armistice, la France d’épuration et d’assimilation, grèves, syndicats, forces d’attraction politique, montée du nazisme, Front populaire, débâcle, nazification, répression et… résistance. Le commencement et la fin de la pièce se situent au 2 avril 1943 avec Georges Wodli agonisant dans les caves de la Gestapo de la rue Sellenick à Strasbourg. Le journaliste choisit ce court moment pour s'entretenir avec le héros avant sa mort. <br /> D’autres comédien(ne)s sont sur scène dès le début jusqu’à la fin, pour raconter, entrecouper, interrompre, entremêler, expliquer et amplifier. Les uns et les autres jouent plusieurs rôles comme narrateurs et comme interprètes de divers personnages.<br /> <br /> La troupe l’autre sentier sera présente avec la pièce « Georges Wodli » au Festival du Théâtre Off d’Avignon pour trois représentations dans la période du 8 au 31 juillet 2011.
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S
Bravo pour cet article très bien ficelé et instructif.
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