Europe Ecologie

ou la tentation ethnique

 

rpsIl est nécessaire de mettre en lumière une incroyable zone d’ombre d’Europe Ecologie Les Verts, arrivé en 3ème position lors des européennes du 26 mai dernier : la promotion d'un régionalisme rétrograde, imbibé de nationalisme ethnique. Nombreux sans doute ont été les électeurs ayant accordé leur suffrage à ce rassemblement en toute bonne foi, en toute ignorance de ce point obscur, aux antipodes de l’article premier de notre Constitution qui institue la République comme une et indivisible. La contribution présente, qui n'a d'autre but que de clarifier le débat et d'en dévoiler les implicites, leur fera peut-être regretter leur vote. En tout cas, la défense légitime de la Nature ne doit pas faire avaler n'importe quelle couleuvre politique.

 (article mis à jour en mai 2019 - publié initialement en mars 2010 sur le site du Cercle Républicain 68 Edouard Boeglin)

Europe Ecologie est le nom donné, lors des élections européennes de 2009, à des listes de rassemblement impulsées par Daniel Cohn-Bendit, dont les deux principales composantes sont Les Verts et la Fédération Régions et Peuples Solidaires (R&PS). En novembre 2010, Les Verts se dissolvent au profit d'Europe Ecologie Les Verts (EELV) qui conserve la fédération R&PS comme principal allié.

« Les nations sans Etat »

Pour qui aurait fait quelques recherches sur cette « fédération des partis politiques régionalistes et autonomistes » dont le logo apparaît clairement sur toutes les affiches de campagne aux côtés de celui des Verts (voir ci-dessous), il n’aurait pas été difficile de trouver quelques idées à faire froid dans le dos. R&PS prétend ainsi défendre les « nations sans Etat », comme le seraient l’Alsace, le Pays Basque, la Bretagne, la Savoie, l’Occitanie, la Catalogne ou encore la Corse.

C’est un fait avéré que les Verts pratiquent depuis longtemps des alliances régionalistes, particulièrement depuis 1999 à l’échelle européenne, avec l’Alliance Libre Européenne qui regroupe des partis « fédéralistes, autonomistes ou indépendantistes », Daniel Cohn-Bendit étant co-président du groupe Verts-ALE au parlement européen entre 2002 et 2014. Rien n’est donc véritablement caché pour qui sait chercher. Et l'alliance de EELV et R&PS est la déclinaison locale de l'alliance des autonomistes et des écologistes au niveau européen, favorables à une Europe des Régions. Ce qui peut étonner, c’est le silence plutôt assourdissant sur cette question et le peu de réactivité des autres acteurs de la politique française.

Dès 2010, cette fédération d'autonomistes a obtenu de nombreux élus, notamment 22 élus régionaux, grâce à l'alliance avec les Verts et aux accords avec le PS. Autant de leviers politiques, de tribunes publiques et de réseaux opérationnels accordés à des organisations qui menacent l'unité de la République (et donc le principe d'égalité devant la loi) en prônant la dissolution du Peuple français au profit d’une multitude de « nations » ethnico-linguistiques.

Aux législatives de 2017, quatre députés rattachés à la fédération R&PS seront élus : trois membres du parti nationaliste Pè a Corsica et le breton Paul Molac sous l'étiquette LREM (après avoir été soutenu par le PS et EELV en 2012).

Aux européennes de 2019, la liste eurofédéraliste EELV est notamment soutenue par le nationaliste Gilles Siméoni et, avec 13,5% des voix, elle permet l'élection de 12 eurodéputés (contre 6 auparavant) dont un autre nationaliste François Alfonsi, déjà eurodéputé en 2009, et devenu président de l'Alliance Libre Européenne en 2014.

« Les Peuples de l’Hexagone »

La liste est longue des signes précurseurs de ce qui pourrait arriver si nous n’y prenons garde.

Ici et là, Europe Ecologie Les Verts défend l’idée de Parlements régionaux, avec capacités législatives, comme par exemple en Alsace, où les deux départements devraient fusionner en une mystérieuse Collectivité européenne d'Alsace (le contenu en reste encore flou, mais on sent l'effervescence les nouvelles baronnies et des autonomistes d'Unser Land, membres eux aussi de R&PS), et ce malgré l'inattendu NON au référendum alsacien du 7 avril 2013.

François Alfonsi, membre du Parti de la Nation Corse, déjà élu député européen en 2009 sous l'étiquette EELV, avait ainsi pu affirmer, lors d’une conférence de presse tenue symboliquement sur les lieux du Parlement d’Alsace avant 1918 sous régime allemand : « Il y a un mouvement général d'autonomie régionale en Europe dans lequel la France est totalement isolée. Avec les Verts, on renversera le mur jacobin ! ». Le site de la fédération R&PS, très identitaire, au sens où l'on y trouve des forêts de drapeaux (mais jamais celui de la France), appelle à "décoloniser les régions", comme si la France était un colonisateur exogène. Sa charte "écologiste et régionaliste", acceptée par EELV, avance ainsi la nécessité de "permettre aux peuples divisés par des frontières inter-étatiques, héritages des guerres, de se réunir à la faveur du processus d’unification de l’Europe".

Grâce à son alliance avec les écologistes, l’Union Démocratique Bretonne, qui prône un « nationalisme progressiste » à l’échelle de la Bretagne, a aussi obtenu des élus, même sans accord avec le PS. En 2019, l'UDB se réjouit de l'élection de Yannick Jadot au Parlement européen comme d'une "belle avancée pour la liste écologiste et autonomiste" et félicite notamment François Alfonsi, le candidat R&PS. Lors du débat télévisé peu avant les européennes du 26 mai 2019, Yannick Jadot avait publiquement mais discrètement présenté sa liste comme la réunion des "écologistes et régionalistes", pour qu'on ne puisse pas dire qu'on ne savait pas. Dans une interview à la presse locale corse (reprise par le mouvement autonomiste savoyard), la tête de liste écologiste affiche pourtant clairement ses convictions autonomistes au nom de "la question du pouvoir et des compétences à l'échelle des territoires".

Philippe Meirieu, le pédagogue tête de liste E.E. dans la région Rhône-Alpes en 2009, s’était prononcé pour une région Savoie autonome, qui ferait sécession avec le reste de la collectivité territoriale, le Mouvement Région Savoie ayant aussi réussi à obtenir un élu aux régionales de 2010, avec l'appui des Verts et du Modem.

Et, en 2010 toujours, la fédération R&PS de proclamer encore sur son site : « pour la première fois de l’histoire, une formation autonomiste occitane est en capacité de faire élire des représentants dans la quasi-totalité des régions du Pays d’Oc. » « Pour les Peuples de l’Hexagone, ces élections peuvent devenir historiques », claironnent ces promoteurs du régionalisme intégral, qui se sentent pousser des ailes, debout sur le marchepied écolo.

Le démembrement de la France

Édifiante aussi, l'édifiante carte, mise en avant pendant plusieurs années sur la page d'accueil du site, démembrant l’Europe, et tout particulièrement la France, en de multiples morceaux selon des critères ethniques et linguistiques, rappelant les pires pages de notre histoire (elle a été retirée depuis, sans que la ligne politique n'ait changé - voir la copie d'écran ci-dessous). On pourra aussi consulter avec autant de profit une autre carte du même acabit qui se trouvait longtemps sur la façade de l’Alliance Libre Européenne, avant d'être retirée elle aussi. Comme s'il fallait que les électeurs ne sachent pas trop pour quel projet politique ils votent. Le moins que l'on puisse dire c'est que ça ne devrait pas mettre en confiance.

efaSi les citoyens n’ont pas forcément conscience de ces enjeux lorsqu’ils mettent dans l’urne un petit bulletin vert, il serait toutefois irresponsable de la part de pontes écologistes ou socialistes négociant des accords de ne pas le savoir. Ou bien ce serait de l’ordre de la faute politique, avec circonstances aggravantes.

Pourquoi les voix qui s’élèvent habituellement pour dénoncer les dispositions antirépublicaines du Front National, devenu Rassemblement National, n’en feraient-elles pas autant, sinon plus, pour Europe Ecologie, en un sens bien plus dangereux puisqu’en chemin pour se retrouver dans le camp majoritaire ?

La République française est une construction politique éminemment originale et précieuse, mais c’est aussi un tissage séculaire extrêmement délicat. Et lorsque l’Etat faiblit, c’est-à-dire quand il ne répond plus aux aspirations des citoyens, quand il renonce à la spécificité de l’expérience historique qui est la sienne – en voulant, bon an mal an, appliquer au pays un modèle qui ne lui correspond pas –, lorsque la Constitution elle-même devient comme un brouillon que l’on peut raturer à tout vent, alors l’esprit féodal se réveille, les institutions s’effritent, le pacte social s’érode, et c’est tout l’édifice qui tremble. Et tous les moulinets de Nicolas Sarkozy sur l’identité nationale ou ceux du "Grand débat" d'Emmanuel Macron ne font hélas que brasser de l’air en évitant l’essentiel.

Rien n’est évidemment perdu, loin de là. Il ne s'agit pas de faire du catastrophisme, mais il est temps d’ouvrir les yeux sur les enjeux profonds d’une époque où l’on a malheureusement souvent l’impression que tout est vain.

Mathieu Lavarenne

 

PS (mise à jour de 2014) : 

Les cartes de l'ALE et de RPS ont récemment été retirées des sites. Il ne s'agit pas là d'un recul sur la doctrine, car le discours n'a pas changé. Voici pour mémoire ce qu'on pouvait encore voir sur la page d'accueil de la fédération RPS début 2014.

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Une autre carte plus récente sur le site de l'alliance libre européenne :

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Pour mémoire :

--> la carte de l'Alliance libre européenne datant de 1997 :

carteeuropeanradicalalliance

--> la carte de l'alliance libre européenne et des Verts (voir le logo) en 2004 :

carte-europe-regions-Verts-ALE-2004

Une carte de 2014 de RPS (à noter que Unser Land et RPS considèrent que la langue de l'Alsace est l'allemand) :

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--> En mai 2019, la liste Europe Ecologie est soutenue par le nationaliste corse Gilles Siméoni et permet l'élection de 12 eurodéputés (contre 6 auparavant) dont François Alfonsi, autre nationaliste corse, président de l'Alliance Libre Européenne depuis 2014 :

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 --> Pour approfondir la question en Alsace : "Collectivité territoriale d'Alsace : la joie des autonomistes"