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7 octobre 2011

De l’humour noir au fait divers

De l’humour noir au fait divers

CAP manuelA l’heure où, entre autres faits divers, un contrôleur de la SNCF s’est fait poignarder dans un train par un individu présentant, selon l’expert psychiatre mandaté par la justice, « des défauts de contrôle de ses pulsions et de ses actes » mais dont l’état reste « compatible avec la garde à vue et une éventuelle incarcération », il est utile de se poser à nouveau la question de la représentation de la violence, notamment à l’école. Jusqu’où peut-on aller ? Avec quelles conséquences ?

Tout le monde ne connaît pas Max Aub (1903-1972). En tout cas, tel qu’il est présenté dans un manuel de français publié par Nathan Technique, dans le cadre des nouveaux programmes de CAP, on le découvre écrivain espagnol « ami de Picasso, de Salvador Dali ou encore d’André Malraux ». Auteur notamment d’un livre intitulé « Crimes exemplaires » (1957), dans lequel « différents narrateurs racontent comment, dans des circonstances précises, ils ont été poussés à tuer leur semblable, qui les avait poussés à bout ». Bref, de parfaites victimes…

Certes, il s’agit là d’un livre couronné en France du « grand prix de l’humour noir », une forme d’humour qui, selon le dictionnaire, « souligne avec cruauté, amertume, parfois désespoir l’absurdité du monde ». Que ce genre de littérature existe, cela ne pose évidemment pas problème. Il y a d’ailleurs bien pire, bien plus polémique. Et que l’on puisse y prendre plaisir, c’est assurément une affaire de goût. Mais l’on ne peut que s’interroger sur le bien fondé d’en publier de larges extraits (six sur quatre pages) dans un ouvrage scolaire, dans un chapitre sur « la mise en scène et la résolution du conflit », lui-même inscrit dans l’un des quatre objectifs majeur de la formation : « s’insérer dans le groupe ». Et, qui plus est, à destination d’élèves de CAP, de plus ou moins 16 ans, dont certains ont parfois un parcours déjà cahoteux et chaotique, et dont la maîtrise des pulsions n’est, pour le moins, pas toujours optimale.

Règne de l’impulsivité

Premier “agresseur” présenté aux élèves : un voisin de table souriant qui remue bruyamment son café au lait à la petite cuillère. « L’homme continuait à remuer, à remuer, immobile, et souriait en me regardant. En moi, quelque chose se souleva. (…) Et il continuait de me regarder en souriant. Alors j’ai sorti mon revolver et j’ai tiré ». Point final. Il n’avait qu’à pas.

Autre malotru, parmi d’autres : l’automobiliste maladroit. Texte intégral : « Il m’avait éclaboussé de haut en bas, ceci passe encore. Mais il avait surtout entièrement trempé mes chaussettes, et ça, je ne puis pas le supporter, je n’y résiste pas. Pour une fois qu’un piéton tue un malheureux chauffeur, on ne va pas ameuter la terre entière. »

Evoquons aussi le dentiste étranglé pour avoir nettoyé des caries douloureuses, ou encore cette dactylo impulsive et sûre d’elle qui exécute froidement le chef de bureau trop exigeant qui lui avait fait recommencer plusieurs fois son travail…

Manquent à l’appel de ces petites scénettes le professeur rendant une mauvaise note à un pauvre élève victime de la société ou encore le contrôleur SNCF qui oserait demander un titre de transport à un voyageur « poussé à bout »... Ils ne feraient pas tache.

Cathartique ou toc ?

Sans doute faut-il ici ressortir l’antique débat sur la « catharsis », cette purgation des émotions mauvaises qu’Aristote met au crédit du théâtre tragique, sans que l’on ne s’accorde aujourd’hui encore sur les modalités de ladite purification. La mise en scène de la violence nous permet-elle de la mettre à distance, de mettre des mots dessus et donc de l’évacuer, ou tout au moins de la circonscrire ? Ou bien la fréquentation de la violence induit-elle la complaisance à son égard et donc sa banalisation ?

C’est évidemment la responsabilité d’un enseignant que de faire ressentir la nuance et le second degré d’un texte, mais quel est ici l’objectif ? Que veut-on faire dire ou faire comprendre aux élèves ? Car ce qui laisse encore plus perplexe dans cette histoire, c’est la teneur des questions qui accompagnent ces extraits. Florilège : « Montrez, en prenant des exemples dans le texte, que l’énervement du narrateur est évident ». « Que pensez-vous des motifs invoqués par le chef de bureau [celui qui a le tort d’être perfectionniste] ? » « Quels sont les arguments invoqués ici pour justifier le meurtre ? » « L’assassinat est-il représenté ? Quel effet cela produit-il selon vous ? » « Que nous montrent [ces histoires] sur les implications du conflit ? » Que répondre ? On peut légitimement être saisi par le doute.

Reste alors un malaise. D’autant plus grand que le décalage prérequis par l’humour noir semble passablement se réduire lorsque la réalité rattrape la fiction. Au travers d’un fait divers glaçant. Ou tout simplement dans le quotidien de tant d'acteurs de l'éducation qui constatent de visu la montée des comportements impulsifs (et donc violents) au sein des établissements.

Alors, humour noir formateur ou banalisation de la violence et de l’impulsivité ? Les deux sans doute. Mais le contexte et l’actualité font résolument pencher la balance du côté obscur.

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