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5 mars 2013

Vieux jeu, le département ?

Collectivité Territoriale d’Alsace – Referendum du 7 avril

 

Vieux jeu, le département ?

(mise à jour du 5 avril 2013)

CTA-Diligence

A côté des arguments de la simplification (illusoire) des institutions existantes et des économies budgétaires (relativement dérisoires), un troisième argument est avancé par les promoteurs de la nouvelle Collectivité Territoriale d’Alsace : l’Alsace devrait enfin être « unie », afin d'être plus forte « en France et en Europe », considérant la structure départementale comme obsolète. Un jugement lourd de conséquences. Mais là encore, c'est le flou qui domine, voire le double discours des promoteurs du projet de Conseil d'Alsace.

 

Commençons par préciser les choses. Le département comme division administrative de l'Etat (pilotée par le préfet) et le département comme collectivité territoriale (pilotée par le conseil général) sont deux choses différentes, mais leur histoire est en très grande partie commune. Si donc la seconde fusionne avec d'autres collectivités, qu'adviendra-t-il de la première ? Que deviendront les services déconcentrés de l'Etat ? Que deviendront les préfets et les préfectures ? Une seule à Strasbourg ? Ici comme ailleurs, c'est surtout le flou qui règne dans les documents officiels. C'est d'ailleurs cette question qui a récemment été soulevée par Gilbert Meyer, le maire de Colmar, en faisant lever les bras au ciel des partisans de la nouvelle collectivité. Et notamment Philippe Richert qui a rétorqué qu'il n'y avait "pas à s'interroger d'une façon ou d'une autre sur le sujet"... Faut-il donc entendre que ce projet supprimera les conseils généraux, mais pas les départements ?

 

Pourtant, c'est bien le même président du conseil régional d'Alsace qui avait lui-même jeté le trouble sur la question dans une émission télévisée régionale, à peine quinze jours plus tôt : "Les départements ont été créés durant la Révolution et maintenus par Napoléon", a-t-il dit dans l'émission Gsuntheim du 24 février 2013 sur France 3 Alsace. "A l’époque, ils ont été délimités de telle sorte que, de n’importe quel point du département, on pouvait se rendre à cheval jusqu’à l’autre bout. En un jour. Mais aujourd’hui, on ne se déplace plus à cheval, on se déplace en voiture, en train ou via internet". Or ce dont il s'agit ici, ce sont bien des départements comme division administrative.

 

Rappelons aussi les propos de Robert Hertzog, professeur émerite de droit public, qui le 18 janvier 2012, considérait que l'administration territoriale de l'Etat devait aussi être repensée : "logiquement, il n'y aura qu'un seul préfet, assisté éventuellement par un ou plusieurs préfets délégués et des sous-préfets" ("Actes des conférences sur la réforme territoriale", p. 107).

 

L'ancien député Jean Ueberschlag le souligne ironiquement dans les DNA du 3 mars : "Il y a enfin une troisième interrogation dont, paraît-il, il ne faut pas parler pour l’instant : que va faire l’État ? Peut-on imaginer une structure politique et administrative territoriale unique pour l’Alsace sans que l’État ne suive ? Il ne va quand même pas maintenir des administrations et des services d’État du Haut-Rhin et du Bas-Rhin, alors que ces deux départements n’existeront plus ! C’est une question de cohérence, et qu’on le veuille ou non, tôt ou tard, Colmar deviendra une nouvelle… sous-préfecture. Car, à territoire unique, préfecture unique, et cette dernière ne pourra être qu’à Strasbourg."

 

Alors pourquoi Philippe Richert répond-il à Gilbert Meyer (qui a de fait saisi le ministère de l'intérieur sur le sujet) qu'il ne faut pas se poser de questions sur le sujet, tout en semant le doute par ailleurs ? Les Alsaciens signeront-ils ce chèque en blanc ?

 

 

Unité de l'Alsace ou unité de la France ?

 

La-France-en-1789-avant-la-Revolution-francaise---carte-Atl

Le département a été créé en 1790, lors de la Révolution Française, pour remplacer les vieilles Provinces, en fournissant à tous les citoyens une administration publique à moins d’une journée de cheval ou de diligence. Si c’était certes l’un de ses enjeux (pas le principal), il est donc martelé aujourd’hui afin de mieux pouvoir le renvoyer aux oubliettes de l'histoire : "nous ne nous déplaçons plus à cheval (rires), le développement de l'automobile a changé la donne. CQFD : dépassé, le département ! Passons à autre chose. Innovons."

 

Or, ce qu’on oublie de rappeler, c’est une fonction encore bien plus profonde et plus importante de l’administration départementale dès sa création. Celle de l’unité et de l'indivisibilité de la République, inscrite dans l'article 1 de notre Constitution. Une unité bien plus consistante et performante que le fantasme d'une Alsace unie (au fait, contre quoi ou contre qui ?), dans laquelle notre région s’est intégrée depuis le XVIIème siècle, avec des particularités héritées d'une histoire tumultueuse. Une unité qui implique l’égalité de tous les citoyens, quelles que soient leurs croyances et leurs origines, devant le droit et la loi, modèle universel que beaucoup de peuples nous envient.

 

Replaçons les choses dans leur contexte. En 1789, la France était encore largement un pays composé de Provinces, héritage d’une féodalité où chacune d’entre elles avait ses châteaux et ses petits seigneurs. Qu’on se souvienne des railleries de Voltaire à propos de cet Ancien Régime, pourtant déjà beaucoup simplifié depuis le XIIème siècle : un homme qui traverse la France en plein XVIIIème siècle « change de lois plus souvent qu’il ne change de chevaux ». Idem en diligence. Et encore : « Un avocat qui sera très savant dans sa ville, ne sera qu’un ignorant dans la ville voisine » (Voltaire, Dialogue entre un plaideur et un avocat, 1751). On imagine facilement les faiblesses et les injustices d'un tel système.

 

Simplification et rationalisation

 

Poids_et_mesures

Les unités de mesure variant fortement d'une région à l'autre, le 18 germinal an III (7 avril 1795), par la loi "relative aux poids et mesures", en plus de la création du franc, les législateurs français ont institué un système de mesure unifié, simple et universel qui se propagera hors de France jusqu'à aujourd'hui : le gramme, le litre, le kilo, mais aussi l'are et le stère.

 

De la même façon, en 1790, la Révolution apporte une organisation rationnelle et simplifiée du Territoire. Elle est un peu le "jardin à la française" du 17ème siècle appliqué en politique.

 

D'une part, elle remplace les anciennes divisions du royaume, de tailles très disparates, se chevauchant parfois et parsemées d'enclaves territoriales (ce que les futures eurométropoles mettent à nouveau au goût du jour), par une entité administrative unique.

 

D'autre part, elle apporte l’égalité de tous les citoyens devant la loi et le droit. Ce qui n'implique d'ailleurs pas l'égalisation des conditions matérielles, et n'enlève rien à la diversité des régions de France. Ce n'est pas parce que nous sommes égaux devant la loi que nous n'avons plus le droit de cultiver nos différences individuelles. Bien au contraire. Ne mélangeons pas grossièrement les niveaux d'analyse, rationalisation administrative et identité culturelle, égalité politique et droit à la différence.

 

Le département et l'abolition des privilèges

 

Qu'est-ce donc que l'abolition des privilèges ? C'est la suppression de ces « lois privées » (privi-lèges), c’est-à-dire particulières, différentes selon les ordres et variant d’un point à l’autre du royaume de France. Cela n'a donc pas seulement été la fin des avantages du Clergé et de la Noblesse, arbitrairement favorisés « de naissance ». Ce fut aussi l’exigence d’une loi et d’un droit les mêmes pour tous sur un territoire unifié et grâce à une administration simplifiée et plus efficace

 

Le Département représente ainsi cette modernité (jamais totalement achevée) de la République, et dont nous devons être les héritiers vigilants, conscients du trésor institutionnel sur lequel nous sommes assis. Nous sommes loin, bien loin de la mauvaise caricature du cheval et de la diligence. Les enjeux sont décidément bien plus sérieux.

 

Mais c'est justement cela dont certains souhaiteraient se débarrasser aujourd'hui, utilisant le même vocabulaire de l'unité, de la rationalisation et de la simplification, pour se diriger vers une plus grande autonomie ( même si, contrairement à ce que laissent entendre les documents officiels sur ce projet, la loi sur la fusion ne parle pas de compétences nouvelles). Comme si c'était cela, la solution aux problèmes de notre temps : fusionnons et les désordres financiers, économiques, sociaux et politiques s'atténueront ! Belle illusion.

 

Contre le saucissonnage

 

Alors, peut-être le département est-il devenu trop petit aujourd’hui (mais au fond, pourquoi et pour qui ?). Mais dans ce cas, il faudrait proposer une véritable réforme, rationnelle et performante, sur l’ensemble du territoire, avec referendum national à destination du Peuple français tout entier.

 

Arrêtons le saucissonnage et le bricolage d’amateurs. En quoi un statut d'exception pour la région Alsace améliorerait-il le fonctionnement des institutions françaises ? A moins que le temps des baronnets ne soit bientôt revenu. Un château sur chaque colline… Est-ce bien cela le progrès vers lequel il nous faudrait tendre ? En tout cas, les milieux autonomistes n'ont plus assez de mains pour applaudir.

 

Et s'il fallait à tout prix grossir et s'unir (admettons-le à titre d'hypothèse... mais n'est-ce pas plutôt au gouvernement national de se réveiller sur d'autres sujets bien plus cruciaux ?), pourquoi le triumvirat Buttner-Kennel-Richert ne nous propose-t-il pas, comme l'avait fait la commission Balladur de 2009, quelques grandes régions françaises, en respectant le principe d'unité des départements de 1790, dont une grande région Alsace-Lorraine ? Ou tout simplement une fusion des deux départements alsaciens, à compétences égales (comme le veut la loi), en coupant court publiquement aux fantasmes des autonomistes, sans leur faire miroiter des myriades de compétences nouvelles ? Quelles sont donc les obscures manoeuvres politiciennes derrière l'écran de fumée du fumeux projet actuel ?

 

  Mathieu Lavarenne

Président du Cercle Républicain 68 Edouard Boeglin

Conseiller municipal indépendant

 

 

 

Mise à jour du 5 avril

--> Lire la lettre aux Colmariens du maire de la ville Gilbert Meyer, en date du 2 avril, qui souligne la contradiction entre l'arrêté ministériel du 5 février 2013 qui proclame la "consultation des électeurs portant sur le projet de fusion de la Région Alsace, du département du Bas-Rhin et du Haut-Rhin" et les affirmations confuses des porteurs du projet. 

 

 

 

--> Sommaire

 

 

--> Vote du 22 septembre 2014 en Alsace : l'orage n'a pas fini de gronder (où l'on verra la trahison des élites à l'égard du suffrage populaire exprimé lors du référendum du 7 avril 2013)

 

--> Retour du Conseil Unique d'Alsace - Crise de légitimité et responsabilité politique (18 septembre 2014) - Où l'on verra combien nos élites semblent avoir perdu le sens de la démocratie et de la République. Que l'on ait voté pour ou contre en Alsace lors du referendum du 7 avril 2013, cela doit choquer. Et cela choquera. Les nuages continuent de s'amonceler à l'horizon, et il y a fort à craindre pour l'avenir. Elus, élues, le tonnerre gronde. Que ferez-vous ? Que ferons-nous ?

 

 

--> Suppression de la condition de referendum et retour du Conseil Unique d'Alsace (29 août 2014) - où l'on apprendra que dans le cadre de la loi sur la fusion des régions un amendement vise à supprimer la condition de referendum pour les fusions et modifications de collectivités territoriales. Et de voir les partisans de la Collectivité unique reprendre du poil de la bête...

 

 

L'analyse des résultats :

 

 

--> En Alsace, c’est  « non » ! (où l’on trouvera des éléments d’analyse pour comprendre les résultats du 7 avril 2013 et faire le bilan de la campagne référendaire).

 

 

 

 

D'autres articles sur ce blog :

 

 

--> Fusion des collectivités : restons vigilants ! (21 décembre 2013) - (où l'on apprendra que l'amendement visant la suppression de la condition de referendum pour la fusion de collectivités est certes supprimé, mais que le projet reviendra, comme les hirondelles, avec le printemps)

 

--> Eh bien non ! Ce sera oui quand même... (1er septembre 2013) - (où l'on verra que moins de trois mois après le non alsacien, un amendement était voté à l'assemblée pour supprimer la condition de referendum)

 

--> Après le 7 avril... 

 

--> Dix raisons de voter NON

 

--> La notice d'information "hors la loi" - pour quoi votera-t-on : un projet ou une fusion ?

 

--> Le schéma trompeur de la notice dite d'information

 

--> Le Non (censuré !?) de Bernard Notter, vice-président du Conseil général du Haut-Rhin

 

--> La prudence avisée des Conseils de développement Mulhouse-Thur-Doller

 

--> Un projet précipité

 

--> Les médias qui protègent le "oui"

 

--> Le flop des réunions pour le "oui"

 

--> Menace sur les communes ! Où est la proximité ?

 

--> Appel au débat contradictoire : où sont passés les partisans du oui ?

 

--> Le 7 avril : NON, pas l'abstention !

 

 --> Rien n'est joué d'avance... : la mobilisation sur internet sera cruciale

 

--> Sondage : le grand malentendu du "Oui"

 

--> Economies, êtes-vous bien là ?

 

--> Point de vue de l'historien Georges Bischoff : "ne pas se tromper d'Alsace" 

 

--> Ils diront non : les arguments de Constant Goerg, Jean Ueberschlag ou encore Pierre Freyburger

 

--> Conseil d'Alsace : des infographies pour mieux comprendre

 

--> Oui - Non : deux poids, deux mesures ?!? : Lettre ouverte à la présidente de l'Université de Haute-Alsace

 

--> Charles Buttner : ni économies, ni simplification, mais plus d'autonomie

 

--> Comprendre les enjeux du seuil de 25% des inscrits

 

--> La joie des autonomistes

 

--> L'Eurométropole ET le Conseil (pas unique) d'Alsace

 

--> L'oubli de la France !

 

--> Referendum en Alsace : un chèque en blanc ?

 

--> CTA : le flou artistique !

 

--> Pour un débat public et responsable

 

--> Vers la suppression des 25%?

 

--> Comment transmuer le simple en complexe (et vice-versa)

 

--> Le referendum d'initiative locale : mise en perspective.

 

--> La Collectivité Territoriale d'Alsace : LES DOCUMENTS.

 

--> Un Conseil pas Unique du tout : le Conseil Complexifié d'Alsace

 

--> La surenchère régionaliste en Alsace.

 

--> La tentation ethnique des Verts et le soutien du PS.

 

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