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8 mai 2023

La cimenterie d'Altkirch pendant l'annexion nazie : Robert Kallmeyer, un double jeu au service de la Résistance

La cimenterie d'Altkirch pendant l'annexion nazie :
un double jeu au service de la Résistance
Ce qui suit est la reprise, bout à bout, d'une série "documentaire" que j'ai publiée à partir du 8 mai 2023 sur les réseaux, au fur et à mesure que j'avançais dans l'analyse de documents hérités de l'histoire familiale, retrouvés dans un tiroir au décès de ma grand-mère, et condensée sous les coups de crayon de ma fille dans le cadre d'un projet de collège.

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MÉMOIRE - En ce 8 mai, je me permets de publier la mise en image par ma fille de l'histoire de mon grand-père maternel, Robert Kallmeyer, nommé directeur de la Cimenterie d'Altkirch en 1939 par le célèbre ingénieur et industriel René Koechlin (à l'origine notamment du barrage hydroélectrique sur le Rhin à Kembs ou de la station du Lac Noir dans les Vosges), dont il était jusque-là le secrétaire particulier.
Robert, dont je porte aussi le prénom à l'état-civil, était d'origine allemande (son aïeul était venu depuis le royaume de Hanovre parmi les troupes d'occupation de 1870), né allemand en 1908 en Alsace, handicapé d'une jambe (suite aux séquelles d'une poliomyélite) et donc non mobilisable, patriote francophile et anti-prussien comme beaucoup de hanovriens, naturalisé français en 1920 : c'est d'ailleurs pour toutes ces raisons que René Koechlin et le colonel Charles-Edouard Amiot (futur maire d'Altkirch et sénateur) l'ont mis à la tête de cette industrie, stratégique en temps de guerre, afin qu'elle ne tombe pas sous la coupe d'un consortium prussien, je cite.
Il eut donc la difficile tâche de "jouer" au collaborateur des nazis (jusqu'en haut lieu, en fréquentant les amis du Gauleiter Wagner) tout en ayant une mission de résistance, en s'affiliant dès 1941 au réseau du héros de la résistance de l'est de la France, le docteur Charles Bareiss.
Cette petite histoire dans la Grande a le mérite de rappeler combien les affaires du monde ne peuvent se dissoudre dans des interprétations binaires, en noir et blanc sans nuance de gris, en gentils et méchants sans nuance de moralité, en 0 et 1 informatiques, sans nombre irrationnel ou fraction irréductible.
Je publierai jour après jour dans cet album les pièces historiques de ce dossier fascinant.
(À suivre donc)
P.S. : Merci à ma fille Eulalie et à ses copines Clara et Lola d'avoir choisi ce sujet dans cette option qui mêle art et histoire. Cela m'a obligé à me replonger dans ce dossier complexe. Merci aussi à leurs professeurs qui leur apprennent le goût de leurs disciplines en l'incarnant dans des projets ambitieux au-delà de l'emploi du temps habituel (Mme Heitz, Mme Vachet-Valaz et Mme Anstett).. 🤗
 
🪖🩸 Doc n°1 (texte et traduction) : première lettre de dénonciation.
 
Le rapport de dénonciation à l'encontre de mon grand-père, Robert Kallmeyer, en date du 24 octobre 1941, auprès du Kreisleiter (chef d'arrondissement du NSDAP, le parti nazi) par le Ortsgruppenleiter, chef local chargé de l'encadrement et de la surveillance de la population, sorte de délateur officiel de la ville, en l'occurrence d'Altkirch, mais comme on en trouvait dans tous les villages ou regroupements de villages d'Alsace. "Une de ses fonctions était d'établir une attestation de bonne conduite (politique) nécessaire pour accéder à la fonction publique. Cette attestation se fondait sur la base d'un fichier recensant le comportement politique de ses administrés" (fiche Wiki).
Quelques extraits :
"Kallmeyer est contestable du point de vue de la race"...
"Ses dispositions passées vis-à-vis du germanisme restent obscures"...
"Selon la manière authentiquement judéo-maçonnique, il s'est infiltré partout"...
PS: je suis preneur de toute amélioration de la traduction...
(À suivre ...)

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🤢🏭🚲 Doc n°2 - deuxième lettre de dénonciation.
 
Dans cette lettre de dénonciation anonyme d'un "camarade du parti" nazi, ce dernier trouve, en ce 31 août 1944, que Robert Kallmeyer, mon grand-père, directeur de la Cimenterie d'Altkirch, est un individu que le Kreisleiter (il s'agit à cette époque sur le district d'Altkirch de E. Maier) devrait surveiller de près parce que, petit 1, sa femme ne parlerait que le français à la maison (ce qui pouvait valoir internement au camp de redressement de Schirmeck, ouvert dès 1940 non loin du camp de concentration du Struthof)... et petit 2, parce qu'une longue surveillance a permis de se rendre compte qu'il partait tous les soirs à la même heure avec le véhicule de la société "dans différentes directions"... Le bienveillant informateur anonyme du parti souligne perfidement qu'"il ne transporte sûrement pas de ciment, car il n'est pas courant que le directeur transporte lui-même le ciment" !
Il rapporte aussi les rumeurs qui circuleraient dans la vallée de la Largue où "le peu de gens de pensée pro-allemande ne se sentent plus en sécurité" et pensent qu'il "se trame quelque chose".
De fait, il était plutôt bien renseigné, des quantités très importantes de ciment, mais aussi d'explosifs pour la carrière, ont été détournées durant des mois et ont pu servir à la Libération pour la reconstruction.
Par ailleurs, Robert prenait son vélo tous les week-end pour remonter la Vallée de la Largue jusqu'à la frontière suisse (du côté du Largin, entre Mooslargue et Pfetterhouse ?) pour discrètement faire un rapport de situation et prendre les instructions de l'ingénieur René Koechlin, sous les apparences d'une promenade dominicale en famille.
Il se trouve que son principal collaborateur, Willy Bareiss, frère du héros de la résistance Charles Bareiss et fondateur du réseau du même nom, racontera que 3 jours après ce courrier il échappera à une descente de la Gestapo, contrairement à mon grand-père qui fera quelques jours de prison. Mais grâce à ses relations et surtout au fait que la perquisition qui a eu lieu chez lui n'a heureusement pas permis d'y découvrir les stocks d'explosifs, de fusils et de grenades à main, il fut relâché le 8 septembre (voir Doc en commentaire avec appel à l'aide de mes amis germanistes pour en traduire le contenu !). Juste avant la venue du Ministre Speer dans la région OberRheinGau du 10 au 14 septembre (voir Doc 4).
Il s'en est fallu de peu... les armées de la Libération approchaient (Altkirch sera libérée le 20 novembre par les troupes de la première armée française débarquée près de Toulon le 15 août 44, après un long périple à travers la Sicile, l'Italie puis la Corse...)
 
P.S. : le 1er octobre 1940 vit le jour une organisation fondée par le Gauleiter Wagner sous le nom d'Opferring, littéralement le "Cercle de ceux qui consentent à faire des sacrifices pour le Reich", mais que les Alsaciens se sont souvent amusés à traduire par "Cercle des victimes". Les Alsaciens qui y étaient reçus avaient "l'honneur" de s'intituler Pg (Parteigenossen), membre du Parti, titre honorifique à ajouter devant son nom, et arborer une boutonnière spéciale avec la mention d'Opferring accompagnée d'une croix gammée. L'objectif était de repérer surtout ceux qui ne l'avaient pas afin de leur faire une pression psychologique, d'autant plus que les volontaires ne se pressaient pas... (Source : Marie-Joseph Bopp, L'Alsace sous l'occupation allemande).

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🏭🪖🤜 Doc 3 - L'incident de la Halle au Blé d'Altkirch en 1942 et le certificat de libération de la prison de Mulhouse en 1944.
 
Mon grand-père, Robert Kallmeyer, avait été arrêté le 5 septembre 1944, lors d'une perquisition à la suite d'une lettre de dénonciation anonyme du 03/09 (doc 2). Le témoignage de Willy Bareiss devant la commission d'épuration le 7 avril 45 précise qu'aucune preuve n'a pu être trouvée, les fusils, les grenades à main et les explosifs qu'il avait cachés chez lui n'ont pas été découverts (Doc à venir). Il a donc été relâché. Il s'en est fallu de peu.
 
Traduction :
 
"Le conseil d'administration de la prison et de l'établissement de détention provisoire.
LETTRE DE SORTIE
En ce jour du 08/09/1944, Robert Kallmeyer né le 21/02/1908 à Mulhouse, de profession "betriebsleiter" (directeur) a été libéré pour se rendre à son lieu de résidence à Altkirch.
Il était en détention provisoire depuis le 05/09/1944 pour [.......Greke.....?] par le Vollstreckungsbehörde (l’autorité d’exécution) d’Altkirch.
Motif de la libération (termes barrés : fin de peine – mesure de grâce) : "fr[reiem] fuß" (remis en liberté).
Il est en possession d’une somme de 687 Reichsmark et 30 Pfennig (chiffres puis lettres) en liquide ainsi que d’un bon pour un billet.
A conserver soigneusement, il ne sera délivré aucun double."
Deux années auparavant, en 1942, une altercation avait déjà emmené Robert en prison. Sa fille aînée, ma tante Jacqueline, raconte ce que l'on appellera l'incident de la Halle au Blé d'Altkirch :
"Mes souvenirs sont flous. Je me rappelle d'une représentation de type culturel : mon père s'est fait interpeller par un gradé allemand de l'administration nazie, haut placé. C'était près de la rampe du premier étage de la salle de la Halle au Blé. Mon père a empoigné le gars au collet et l'a plié par-dessus la balustrade. Des gens sont intervenus pour les séparer. À la maison, c'était la panique. Maman faisait des reproches à Papa: « Tu ne penses pas à ta famille ? » et elle préparait des valises. On s'attendait à être déportés, justement. Et que pensez-vous qu'il arrivât ? Le gradé a été muté ailleurs. Car pour les Allemands, il était en effet impensable de laisser en place quelqu'un dont l'autorité avait été bafouée, avons-nous appris avec sidération. Mon père fit quand même un temps de prison. "Ar esch em Giggerla g'hockt !" (Il est allé au mitard quelques jours…). Mais comme il avait des "potes" parmi les officiers nazis, qu'il emmenait à la chasse, il a été libéré. On avait eu chaud."
 
Merci Jacoby Guiziou et Valère Kaletka (@KLR généalogistes) pour l'aide à la transcription !
 

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🏭🏭🏭Doc 4 : Laisser-passer de Robert Kallmeyer au titre de la puissante organisation Todt.
 
On a pu s'étonner du niveau des relations qui ont permis à mon grand-père de n'être pas resté longtemps en garde à vue ou en détention provisoire, malgré des dénonciations et des perquisitions (qui n'ont heureusement rien donné alors qu'il y avait effectivement matière à trouver). Ce document (traduit ci-dessous) permet probablement de s'en faire une idée.
En tant que capitaine d'une industrie stratégique en temps de guerre, les missions qui lui étaient données par l'administration nazie ne pouvaient pas se permettre d'être compromises par de vagues soupçons ou par des conflits de personnes... (voir Docs 1 et 2).
En effet, l'organisation Todt qui lui attribue ce laisser-passer (depuis son bureau sur les Champs Élysée) était une institution paramilitaire de génie civil et militaire de premier plan dans le dispositif de guerre, fondée en 1938 par Fritz Todt, ministre du Reich pour l'Armement et les Munitions, dans la foulée du projet Autobahn (la construction massive d'autoroutes en béton).
Du fait des destructions liées aux bombardements Alliés ainsi que des besoins en constructions militaires, le ciment était un matériau essentiel, notamment pour la construction du fameux Mur de l'Atlantique (batteries d'artillerie, ports fortifiés, stations radars et d'écoute, bunkers, obstacles anti-débarquement sur les plages...) ou encore pour les fondations des rampes de lancement des missiles V1 et V2, des canons V3 et des batteries anti-aériennes, sans oublier des bases de sous-marins ainsi que les usines d'armement et les raffineries souterraines du projet Reise.
À partir de 1942, l'organisation Todt utilise la main d'œuvre du RAD (Reichsarbeitsdienst : service du travail du Reich auquel ont aussi été soumis les citoyens de l'Alsace Moselle annexées) mais aussi les réquisitionnés du STO (service du travail obligatoire en France occupée), ou encore des prisonniers venus des camps de concentration traités comme des esclaves (au total, 1 à 2 millions de personnes sont concernées). S'ajouteront, à partir de septembre 1944, 10 à 20 000 "métis" (Mischlings : personnes d’ascendance non totalement allemande, habituellement juive, issus de mariages mixtes soupçonnés de pouvoir souiller la supposée pureté raciale germanique).
Suite à sa mort (potentiellement criminelle) dans l'explosion en vol de son avion, Todt est remplacé par Albert Speer en février 42 et l'organisation est rattachée en juin 43 au « ministère de l'Armement et de la Production de guerre » (Reichsministerium für Rüstung und Kriegsproduktion). Albert Speer est alors un des ministres les plus puissants du gouvernement d'Hitler puisque son domaine de compétence s'étend, via l'organisation Todt, à la quasi-totalité de l'économie de guerre nazie.
Il fera d'ailleurs, entre le 10 et le 14 septembre, une tournée d'inspection dans l'Oberrheingau, cette "Région du Rhin supérieur" issue de la fusion de l'Alsace et du pays de Bade sous la direction du Gauleiter Wagner, ami proche d'Hitler.
 
Traduction du document (1000 mercis à Jacoby Guiziou) :
"Organisation TODT"
"Service/office/bureau en charge du réapprovisionnement en ciment"
Paris, 17 janvier 1944
33 avenue des Champs Élysée.
M. Robert Kallmeyer, Altkirch en Alsace, copropriétaire et directeur des cimenteries Portland d’Alsace "Günther' Kallmeyer & Blattmann" à Altkirch, est chargé, en tant qu’expert, de collaborer en apportant son expertise pour garantir la fourniture du ciment nécessaire à l’organisation Todt en France occupée [annotation crayonnée : « Grenzgebiet », zone frontière occupée] ainsi que de surveiller le ravitaillement en ciment.
À cette fin, M. Kallmeyer pourra se rendre de manière répétée dans son véhicule personnel ou autre en France occupée, de même que dans les cimenteries situées en Allemagne du Sud, en Alsace ou en Lorraine.
Toutes les instances militaires ou policières sont priées de garantir un droit de passage sans difficultés à M. Kallmeyer et de lui apporter, si nécessaire, aide et protection.
Valable jusqu’au 30 mars 1944
Prolongé jusqu’au 31/06/1944"
 
(À suivre...)

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Doc 5 : Certificat de nomination de Robert Kallmeyer comme Conseiller Municipal d'Altkirch par le maire et Stadtkommissar Thorn, sur "demande" des autorités nazies, le 10 octobre 1940, avec effet au 1er décembre 1940.
 
Beaucoup de questions encore sans réponse à partir de ce simple document...
Qui était ce maire Thorn dont je n'ai, pour le moment, trouvé nulle part ni son prénom ni sa provenance (les pages wiki et les listes habituelles des maires successifs sont lacunaires) ?
Quand a-t-il précisément été élu ou nommé, au courant de l'année 1940 ? Juste avant la constitution imposée de son conseil municipal ?
Venait-il du pays de Bade comme le Kreisleiter (équivalent très politisé du sous-préfet) Josef Fitterer muté à la KreisStadt Altkirch début janvier 1941 (selon le journal Breisgauer Nachrichten du 7 janvier que j'ai retrouvé) ?
Qu'était réellement un Stadtkommissar ?
Combien étaient-ils autour de la table du conseil et quelles étaient leurs prérogatives ? Le conseil municipal d'Altkirch a-t-il finalement été dissous comme dans d'autres secteurs ?
Thorn a-t-il aussi cumulé les fonctions d'Ortsgruppenleiter avec celles du Bürgermeister comme cela se faisait parfois selon les localités et notamment selon leur taille ?
Ou bien y en avaient-ils plusieurs à Altkirch ? Sous son autorité ? À moins que ce ne soit lui qui était soumis à l'autorité d'un Ortsgruppenleiter, dont je n'ai pas trouvé trace pour le moment.
Voilà en tout cas l'occasion de faire un point sur l'organisation nazie en Alsace :
Les trois départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle ont été annexés au Reich "de facto" (et non "de jure", donc contrairement à tous les traités internationaux) par un décret (non-publié!) d'Hitler le 18 octobre 1940, timidement dénoncé comme illégal par le gouvernement de Vichy.
Mais ce décret en catimini ne faisait qu'acter une situation déjà existante depuis le 2 août 1940 lorsque "l'arrondissement d'Altkirch, jusqu'alors français, dans le département du Haut-Rhin, est devenu le district du "chef de l'administration civile" (CdZ - Chef der Zivilverwaltung) en Alsace" : "Changement de nom du département du Haut-Rhin en Bezirk Oberrhein, de l'arrondissement d'Altkirch en Landkreis Altkirch. Le siège de l'administration du Landkreis Altkirch est la ville d'Altkirch. Le règlement communal pour l'Alsace-Lorraine du 6 juin 1895 est applicable."
Au 1 janvier 1941, le droit du Code communal allemand du 30 janvier 1935 sera introduit en Alsace.
(Sources : archives allemandes en ligne.)
 
Alors que la Moselle était rattachée au Palatinat vers le nord, l'Alsace était quant à elle rattachée au Pays de Bade dans une nouvelle grande région nommé OberRhein Gau (région du Rhin supérieur) sous la féroce férule du Gauleiter et Reichsstatthalter Robert Wagner, ami intime de Hitler, et partisan fanatique de la vocation mondiale du nazisme, jusqu'à son dernier souffle.
Parfois il y avait un seul Ortsgruppenleiter (responsable de groupe local du NSDAP qui pouvait embrasser jusqu'à 1500 ménages) pour plusieurs petits villages, souvent recruté parmi les sympathisants du nazisme, et pouvant destituer un maire sur un simple lettre à son supérieur, le Kreisleiter (sorte de sous-préfet politique, fonctionnaire rémunéré contrairement à ses subalternes).
De lui dépendait le Zellenleiter (chef de cellule, de 4 à 8 blocs) qui lui même supervisait le Blockleiter (chef d’un groupe d’immeubles ou de maisons, avec 40 à 60 ménages à ficher et surveiller) : voir schéma sur la deuxième image ci-jointe.
Le 25 septembre 1940, Hitler avait donné pour mission à Wagner et à Bürckel (son homologue pour la Moselle) de germaniser leurs régions en dix ans en les rendant "judenrein" (vides de Juifs), sans restriction de méthode, les moyens justifiant la fin.
Wagner s'était alors vanté d'y parvenir en cinq ans : "Si un Alsacien vient et me déclare : Je ne suis pas allemand, mais français, c'est-à-dire que je me considère comme français ; je ne puis que lui dire : Tu n’es pas un Français, tu es un traître allemand. Tu es un traître à ton nom, à ta langue, à ta nationalité, à ton sang, bref à ta propre nature, à ta destinée (…). Aussi devras-tu comprendre qu’on se débarrasse rapidement de toi, comme aujourd’hui dans le monde entier on se débarrasse rapidement de tous les traîtres" (discours du 28 mars 1943 à Strasbourg).
Devant le faible engagement volontaire des Alsaciens dans les instances nazies (le parti NSDAP et les différentes associations qui en émanaient dans tous les domaines d'activité), les autorités nazies furent encore obligées de durcir le ton : "Qui ne veut rien faire pour le parti et pour l'Etat n'a pas tous les droits du citoyen", menaça par exemple le Kreisleiter Glas de Colmar dans sa circulaire du 8 octobre 1941. Si l'on veut des droits, il faut D'ABORD respecter ses devoirs à l'égard du gouvernement...
Source : "L'Alsace sous l'occupation allemande" de l'excellent Marie-Joseph Bopp, qui souligne, d'expérience, que de nombreux Blockleiter et Zellenleiter étaient en fait des "traîtres à la cause allemande", utilisant leur position pour "aider leurs compatriotes de tout leur pouvoir", en trichant par exemple sur les fiches de surveillance qu'on les obligeait à compléter sur chacun des habitants...(cf. p.109). Mais évidemment pas tous.
 
Quoi qu'il en soit, nous le verrons dans d'autres documents (à venir), mon grand-père était parvenu à entrer tant dans les petits papiers dudit Thorn que dans ceux d'un certain Gerstlauer, chef de la S.D. (Sicherheitsdienst - service de renseignement et de maintien de l'ordre de la SS), ou encore dans ceux d'un nommé Paulmichl, chef du service de santé de l'arrondissement (probablement la fameuse NSV - ligue socialiste nationale pour le bien-être du Peuple, au sens ethnique).
Difficile alors de croire, pour le simple habitant Altkirchois, qu'il n'était pas qu'un simple collaborateur... et pourtant !
À suivre.
P.S. : je mets en commentaire quelques pages de l'ouvrage de Marie-Joseph Bopp, si vous voulez approfondir un peu le sujet de l'organisation du parti nazi en Alsace.
 

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Intermède moderne :
😡🤖💩☠️ Bon... je suis puni... Les "équipes" (stupidement virtuelles) de Facebook ont censuré, à la seconde près, une partie de ma dernière publication historique sur l'histoire de mon grand-père, directeur de la Cimenterie d'Altkirch durant l'annexion nazie, mais missionné par la résistance.
J'avais en effet mis la photo d'une page d'un livre en commentaire (heureusement, j'avais hésité à la mettre avec les autres images diffusées aujourd'hui, ce qui aurait bloqué l'intégralité de ma publication). Il s'agit en l'occurrence du très bon livre de Marie-Joseph Bopp, résistant et fin analyste des pratiques nazies, intitulé "L'Alsace sous occupation allemande", dans son édition originale de 1945 !
La page concernée était la première du chapitre sur "L'organisation du parti national-socialiste" et elle était illustrée quelques sigles et signes nazis. Elle s'ouvrait aussi par une citation d'Hitler en exergue.
J'ai donc immédiatement contesté. Mais ma contestation a été actée sans que cela ne change rien aux sanctions... Au contraire, on me menace en me disant que si je récidive, la punition sera plus importante, avec une possible suspension ou suppression de mon compte. Voilà.
Vive l'IA
NB : Ma contestation a abouti à un rétablissement du document censuré, mais dans la foulée c'était une deuxième page qui était supprimée et mes "punitions" étaient rétablies... Il a fallu une deuxième constestation pour que l'ensemble soit remis en ligne.
 
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🛑🏭 Doc 6 à 12 : Voici aujourd'hui des documents officiels signés par René Koechlin et Charles Amiot prouvant que mon grand-père jouait un dangereux double jeu à la tête de la Cimenterie d'Altkirch face aux Allemands.
Ce sont évidemment des pièces qui vont servir lors des procès d'épuration où il était parfois difficile de faire le tri entre faux collabos et résistants de la dernière heure... le témoignage de Willy Bareiss devant le tribunal d'épuration, dans le prochain document, sera à ce titre décisif.
 
En résumé, avec quelques éléments de contexte :
***
Doc 6 : Certificat de travail et de bonne conduite de Robert Kallmeyer en tant que dessinateur pour la société des Mines de potasse d'Alsace.
 
A partir de 1927, Robert Kallmeyer, après avoir été apprenti puis dessinateur industriel pour les mines de potasse d'Alsace depuis leur retour à la France en 1924 (en l'occurrence les Mines de Kali Ste-Thérèse - carré Rodolphe ; voir doc 6), devient à 19 ans secrétaire particulier de l'ingénieur René Koechlin, à Mulhouse, alors que celui est, entre autres réalisations, le fondateur en 1925 avec Charles Amiot de la Cimenterie d'Altkirch, qui sera par la suite nécessaire à la construction du barrage hydroélectrique de Kembs entre 1928 et 1932.

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***
Doc 7 : Délégation de pouvoirs du colonel Charles Amiot, futur maire d'Altkirch, sénateur et conseiller général du Haut-Rhin.
 
Le 22 septembre 1939, alors que la "drôle de guerre" vient juste de commencer, lorsque les soldats Français veillaient et baillaient dans les ouvrages de la Ligne Maginot pendant que Hitler et ses armées dévoraient la Pologne, Charles-Édouard Amiot (57 ans), administrateur de la Société Anonyme des Chaux et Ciments Portland du Haut-Rhin, alors qu'il est réquisitionné pour rejoindre son régiment dans l'armée de l'air (avant de s'engager activement dans la résistance), délègue ses pouvoirs à Robert Kallmeyer.

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Doc 8 : Délégation de pouvoir de René Koechlin pour la SA Procédés Sauter.
 
Le 30 septembre 1939, René Koechlin (72 ans), en tant que président su Conseil d'administration de cette autre société, rédige une "délégation de pouvoirs" à Robert Kallmeyer, résidant alors à Mulhouse, dans le cadre de l'entreprise "Procédés Sauter S.A.", dont le siège est à Saint-Louis, en vue du transfert de ses installations en un endroit à déterminer ultérieurement.
Pour le moment, je n'en sais pas plus sur cette société à cette époque et ce qu'elle est devenue durant la guerre.
Il est probable que René Koechlin anticipe déjà une potentielle invasion allemande, tout au moins que la ville ne devienne une zone de guerre.

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Doc 9 : Délégation de pouvoir de René Koechlin pour la Cimenterie.
 
Le 30 octobre 1939, depuis Paris, René Koechlin délègue ses pouvoirs conjointement à Benjamin Bary (dont je n'ai aucune trace) en tant que directeur technique et Robert Kallmeyer, en tant que secrétaire administratif de la Cimenterie.
À ce moment, l'usine est toujours française et elle ne tombera sous l'escarcelle des nazis qu'à partir de juin 1940, avec la signature de l'armistice.
Robert Kallmeyer a alors 31 ans et il a l'avantage d'être Allemand d'ascendance (petit fils d'un Hanovrien antiprussien venu de Osnabrük près de Hanovre en tant que force d'occupation en 1870-71), et de naissance, né à Mulhouse en 1908. Il était aussi handicapé (on lui a ôté le péroné suite à une polio mal soignée et il porte donc une chaussure a semelle compensée) et donc non-mobilisable dans l'armée.

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Doc 10 : Certificat de mission de la part de René Koechlin pour Robert Kallmeyer.
 
Le 2 août 1941, en pleine annexion, René Koechlin fait parvenir, depuis sa nouvelle résidence à Blonay dans le Canton de Vaud (Suisse) en territoire neutre, à Robert Kallmeyer un "certificat" attestant que "par suite de la mobilisation, la Société des Chaux et Ciments du Haut-Rhin fut privée de son personnel dirigeant [Amiot avait été mobilisé], je n'hésitais pas à lui confier la direction de cette société, poste qu'il a rempli à notre entière satisfaction, comme d'ailleurs toutes les missions nombreuses que nous lui avons confiées".
Cette dernière formulation laisse transparaître le fait que R. K. allait régulièrement à la frontière suisse au fond de la vallée de la Largue pour chercher des instructions depuis la Suisse ou bien y faire son rapport d'activité.

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Doc 11 : Délégation de pouvoirs de Edouard Charles Amiot à Robert Kallmeyer confirmé dans ses fonctions après la Libération.
 
Le 16 décembre 1944, après la libération d'Altkirch qui a eu lieu un peu moins d'un mois plus tôt, le 20 novembre, et alors que les combats continuent en direction de Colmar, Edouard Charles Amiot délègue à nouveau "tous pouvoirs" à Robert Kallmeyer pour la direction de la Cimenterie dont le siège social est entre Lyon et Altkirch fraîchement retournée à la France, sans que l'on soit alors certain de l'impossibilité ou non d'une contre-offensive.

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Doc 12 : Déposition du colonel Amiot devant le comité d'épuration attestant des missions de Robert Kallmeyer.
 
Le 14 avril 1945, alors que l'Allemagne s'apprête à capituler, Amiot fait une déposition devant le juge du Comité d'épuration en faveur de Robert Kallmeyer actant de lui avoir transmis ses fonctions de directeur durant toute la durée de l'occupation, assurant avoir été toujours en relation avec lui, afin de lui donner des directives. Il souligne avec satisfaction que la mission a été un succès.

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(À suivre...)
 
🏭🏛 Doc 13 : Témoignage devant le Comité d'épuration de Willy Bareiss, frère du "héros de la résistance" Charles Bareiss, en faveur de Robert Kallmeyer directeur de la Cimenterie d'Altkirch (lettre de 4 pages au juge Hirschy le 7 avril 1945, puis déposition le 13 avril sur une page).
 
Voici sans doute la pièce maîtresse de cette affaire, la plus détaillée, dans laquelle les précédentes trouvent leur unité (mais dont il reste beaucoup de fils à tirer).
 
Quelques clefs d'explication et de contexte pour bien saisir le témoignage :
 
* On y apprend que Robert Kallmeyer, par "patriotisme", s'affilie dès sa création au réseau Bareiss, dès 1941 (les deux réunions fondatrices ont eu lieu à l'automne 41, l'une au restaurant Obersteg de Mulhouse, l'autre à la Brasserie du Grand Kléber à Strasbourg, après que les premières activités secrètes se soient déroulées dans le cadre d'un faux Club canin, puisque les associations sportives étaient considérées comme apolotiques, donc sans restriction de droit de réunion). Autrement nommée "Gaullistes d'Alsace et de Lorraine", cette organisation secrète fusionnera une grande partie de la résistance en zone annexée.
Charles Bareiss, vétérinaire militaire ayant fait ses études primaires à Altkirch, et revenu en Alsace après la débâcle "pour maintenir l'esprit français dans la province annexée", était encore en prison au moment du procès le 13 avril 45 (après que sa condamnation à mort ait été commuée en peine de pénitencier sur intervention du gouvernement de Vichy en 1943) et il n'a pas pu témoigner directement, n'étant de retour à Strasbourg que le 19 mai 45, après avoir été libéré par les Américains le 17 avril.
Mais son frère, Willy, s'en est fait le porte-parole, d'autant plus qu'il y était lui aussi actif en tant que collaborateur de Robert Kallmeyer (seul en local à être dans la confidence), par ailleurs gendre de M. Amiot.
 
* La mission de mon grand-père y apparaît très clairement : tout faire pour éviter un "transfert de nos installations en Allemagne", "maintenir à tout prix l'intégralité des moyens de productions, pour cela éviter l'intrusion de sujets allemands dans la direction et surtout empêcher l'absorption de l'Affaire par quelque grand trust industriel allemand". Or le danger n'était pas fictif puisque à la même époque l'ensemble des cimenteries de Lorraine avait été absorbée par les Reichswerke Hermann Goering...
 
* Comme le dit Willy Bareiss, la mission était "dangereuse, difficile et délicate". Pour cela, il fallait accepter non seulement "d'encourir des dangers sans nombre", mais aussi "de se voir compromis à la face de la population d'Altkirch"... "Par le fait même de ses relations (...), par le fait aussi qu'il était membre des S.A., l'opinion publique, ignorant sa mission, voyait en M. Kallmeyer et voit en partie encore aujourd'hui en lui un collaborateur des Allemands".
Ma grand-mère, Irma Kallmeyer née Zurni, à qui il confiait les codes secrets dont il avait besoin dans ses activités parallèles, n'en parlait que laconiquement, considérant que la résistance sur le terrain de l'ennemi était particulièrement périlleuse et surtout très ingrate socialement. Après la Libération, elle racontait qu'elle avait découpé en morceaux l'uniforme de la S.A. que son mari avait porté, transformant à coups de ciseaux rageurs la redingote en laine brune en pantalons.
 
* Ainsi, après avoir mis dans sa poche les autorités de la Circonscription d'Altkirch par quelques entourloupes "amusantes", ce qui lui avait permis d'être nommé "Commissaire de l'usine" (sous la tutelle directe du Chef de Région CdZ), au titre a minima de la "transition nazie", il fallait viser plus haut pour conforter la position.
 
* Or le représentant commercial de la Cimenterie à Strasbourg, François Blattmann, avait pu approcher un ami proche du fameux et sanguinaire Gauleiter Wagner, un certain Monsieur Gunther auquel ledit Wagner avait promis de lui offrir "une belle affaire en Alsace". Ce fut l'occasion de lui proposer la Cimenterie d'Altkirch, d'autant plus qu'"il n'entendait absolument rien à l'industrie, encore moins à celle du ciment". Max Günther mordit à l'hameçon, Wagner accepta.
Ainsi fut enregistrée en septembre 1941 au registre de commerce de Mulhouse la société fermière "Elsässische Portland Zementwerke Günther-Kallmeyer-Blattmann", avec l'approbation secrète de Koechlin et Amiot, qui purent être consultés, très probablement grâce à la passion de mon grand-père pour le vélo dominical à travers la Vallée de la Largue.
Max Günther devenait propriétaire, mais il avait confié la gestion pleine et entière à Robert Kallmeyer, tout en payant un loyer à la cimenterie...
Mais surtout, du fait de son ignorance, Günther ne se rendit jamais compte du stratagème qui permit à Robert Kallmeyer de conserver la main non seulement sur la direction de l'usine mais surtout sur ses finances qui, par un habile montage, restaient en local au lieu d'abonder comme elles auraient dû le faire les caisses du CdZ (Chef des Zivilverwaltung, autrement dit dû Gauleiter Wagner). C'était à tout le moins jouer avec le feu.
Grâce à la bêtise crasse dudit Günther, et à l'intelligence tactique et relationnelle de Robert Kallmeyer, à la Libération, la Cimenterie fut récupérée par la France avec non seulement le capital conséquent de toutes les sommes liées aux ventes mais aussi avec de forts stocks largement dissimulés, "à l'encontre de l'économie de guerre allemande" (ciment, charbon, sacs papier, explosifs...), qui dépassaient "de loin même le capital actions de la société" !
 
* Par ailleurs, du fait de son influence et de la confiance qu'on lui accordait (bien à tort, comme l'ont soupçonné quelques délateurs dont nous avons déjà parlé), Robert Kallmeyer réussit l'exploit de "retenir 30 jeunes gens appelés à servir dans la Wehrmacht, de sorte que sur un total de près de 250 ouvriers, 20 seulement durent endosser l'uniforme allemand". À la maison, il ne parlait que de "stagiaires" qu'il avait embauchés...
 
* Le dernier coup de force fut obtenu grâce à l'aide d'un "Allemand du 20 juillet", c'est-à-dire d'une personne qui avait adhéré à l'idée d'un coup d’État contre Hitler, lors de la tentative d'assassinat ratée du 20 juillet 1944, lorsqu'une bombe ne fit que blesser le Führer nazi. Et ce n'était pas n'importe qui puisqu'il s'agissait du "grand maître du ciment de l'organisation Todt" (voir documents précédents), un certain Link qui était devenu proche de Robert Kallmeyer.
Grâce à cette aide précieuse, par une habileté à traîner des pieds au moment où les forces alliées s'approchaient de l'Alsace par l'ouest et par le sud, alors que tout le personnel ainsi que tous les stocks mais aussi toutes les installations, machines, etc. devaient être déplacés en Allemagne dans le Würtemberg, les "sursis" accordés pour des motifs fallacieux permirent à la cimenterie d'être récupérée pleine et entière par les armées de Libération.
Au sortir de la guerre, les documents ne circulaient pas aussi facilement qu'aujourd'hui et pendant des années mon grand-père est resté dans l'esprit de nombreux Altkirchois comme le collabo de service, à coup de parties de chasse avec la Kommandantur et de repas avec les instances officielles nazies, au point que son action a largement été occultée, y compris auprès des instances de la cimenterie dans l'après-guerre, notamment après son décès accidentel en 1951, alors qu'il avait été reconduit comme directeur-adjoint de la société, au retour d'Amiot.
Je me souviens aussi des paroles du regretté Édouard Boeglin (auquel je dois beaucoup) qui m'avait un jour dit, en bon historien-journaliste-conseiller municipal de Mulhouse délégué au patrimoine qu'il était, qu'à la Libération, nombre de capitaines d'industrie avaient été blanchis parce qu'on avait besoin de leurs compétences professionnelles pour la reconstruction (évoquons tous ces cadres nazis qui ont été recyclés aux Etats-Unis ou en Allemagne même : je renvoie sur ce sujet à l'important livre d'Alfred Wahl "La seconde histoire du nazisme", sans même parler de tous les "résistants de la dernière heure" qui se retrouveraient les années suivantes devant les monuments aux morts avec des larmes de crocodile, ayant d'autant plus intérêt à la rumeur et la calomnie à l'égard des véritables résistants qu'ils avaient été eux-mêmes ou bien des lâches ou bien des "collabos").
 
Doc 13 bis (trois photos) : attestation de création et d'enregistrement à Mulhouse de l'entreprise "Elsässische Portland Zementwerke Günther-Kallmeyer-Blattmann"
 
Sources principales (photos en commentaire) :
- "À Altkirch, c'était leur usine", publication de l'Amicale Holcim France (ACOR) par Marlène Moreth et André Blaise, avec les anciens de la Cimenterie.
- "Tribunal de guerre du IIIè Reich" par August Gerhards (Publication sous couvert du Ministère de la Défense).
- Témoignages familiaux.

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🏭🏗 Lot de documents n°14 : l'après-guerre.
 
A partir du 8 mai 1945, le retour à la France de l'Alsace et de la Moselle est définitivement acté avec la capitulation de l'Allemagne nazie.
Le Gauleiter Wagner prôna jusqu'au bout la politique de la terre brûlée, enjoignant notamment aux populations du pays de Bade de se battre "jusqu'au dernier couteau de cuisine", menaçant du poteau d'exécution toute personne qui oserait arborer un drapeau blanc. Il sera finalement arrêté le 7 juin 45, jugé et fusillé le 14 août 1946.
Nous avons vu que Robert Kallmeyer avait été confirmé dans ses fonctions de chargé de pouvoir de la cimenterie par Amiot en décembre 1944 dans la foulée de la Libération d'Altkirch fin novembre. A son retour, ce dernier redevint donc directeur (il fut aussi maire d'Altkirch, puis sénateur et conseiller général), et Robert Kallmeyer fut nommé officiellement directeur-adjoint de la cimenterie, lui qui avait été tout d'abord secrétaire-adjoint de René Koechlin avant d'avoir fait fonction de directeur pendant la drôle de guerre puis était parvenu à conserver la gestion de facto de l'usine en en devenant l'ingénieur gestionnaire, au sein de la société de droit allemand Günther, Kallmeyer & Blattmann. C'était une façon de récompenser ses bons et loyaux services de patriote d'origine allemande.
Charles Bareiss, devenu président de l'Association des Résistants d'Alsace et de Lorraine, disparaît en septembre 1961 à l'âge de 56 ans.
Quant à Charles Edouard Amiot, il mourut en mars 1952 à 70 ans, ses obsèques furent grandioses à Altkirch ; et René Koechlin en juin 1951 à l'âge de 84 ans.
Malheureusement entre ces deux dernières disparitions, Robert Kallmeyer décéda dans une tragique embardée de voiture sur un chemin de terre des Vosges, au-dessus de Kruth, le 1er novembre 1951, à l'âge de 43 ans seulement, laissant derrière lui une veuve et quatre filles, dont la plus jeune (ma mère) n'avait que 4 ans.
Il repose encore aujourd'hui au cimetière d'Altkirch, à quelques pas de la cimenterie pour laquelle il avait tant risqué sa vie, après une cérémonie en présence de très nombreuses personnes et personnalités, dont André Koechlin, fils du précédent, nouveau président du CA de l'entreprise.
Le témoignage écrit de M. Lafuma présentant son collaborateur dans un voyage aux USA, lors d'une mission d'étude de la productivité de l'industrie des Chaux et Ciments, est aussi poignant, présentant Robert Kallmeyer comme "élément le plus dynamique" et "le plus à l'aise de nous tous au milieu des workers américains, grâce à sa connaissance de l'anglais, de l'allemand et du patois de la Forêt Noire".
Il est aujourd'hui enterré, face à l'entrée principales, aux côtés de son père Hugo Kallmeyer, qui ne l'a rejoint qu'en juin 1968 à l'âge de 90 ans passés.
Hugo Kallmeyer, fils d'un soldat hanovrien arrivé en 1870 en Alsace comme troupe d'occupation, était en effet né en 1877 à Mulhouse.
Après avoir obtenu sa naturalisation française en février 1920 en même temps que ses enfants (son fils Robert avait donc 12 ans), il a travaillé en tant qu'imprimeur puis correcteur/typographe dans la presse locale à partir de 1922 : au Mulhauser Tagblatt, au Républicain, puis à L'Alsace. Après sa retraite, il travailla encore durant des années pour l'agence de l'Alsace à Altkirch.
Très engagé en politique, membre du parti radical-radical socialiste, il était réputé pour être un proche de Léon Blum et de Édouard Herriot, mais aussi du peintre Jean-Jacques Henner.
Nous voici donc parvenu (presque) à la fin de cette histoire de la Cimenterie d'Altkirch lors de la période d'annexion.
J'ajouterai peut-être par la suite d'autres documents complémentaires dans ce dossier déjà bien fourni grâce à des archives retrouvées au fond d'un tiroir, probablement des témoignages familiaux de première main qui éclairent le contexte de peur et de survie de cette période troublée, ou bien encore d'autres pièces inédites si d'aventure nous en trouvons d'autres.
Les 100 ans de la Cimenterie d’Altkirch en 2025 permettront sans doute de rendre hommage à cette industrie phare de notre région ainsi qu'à ses acteurs principaux. 🙂
L'Amicale des anciens de la Cimenterie Holcim ont déjà fait un travail de recherche et de témoignages importants, mais il y a sans doute moyen de le poursuivre.
 

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PORTRAIT :
 
Voici encore le fameux Robert Kallmeyer, lors d'une descente de l'Ardèche en canoë en 1932, quelques années avant qu'il ne devienne directeur de la cimenterie en 1939. On peut remarquer ici les séquelles d'une poliomyélite qui lui a valu l'ablation du péroné de sa jambe gauche, ce qui l'avait fait reformer de l'armée.
Il était né allemand, descendant d'un soldat hanovrien venu parmi les troupes d'occupation en 1870, mais dans une famille de patriotes francophiles (son oncle s'était engagé volontaire dans l'armée française et a fait la campagne de Madagascar, son père a lui aussi demandé la naturalisation française dès 1920 et s'était engagé dans le Parti radical socialiste) et anti-nazi.

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Sur la polio et ses conséquences, voici le témoignage de sa fille aînée, Jacqueline Blondel :
"Mon père avait eu la polio dans son enfance et il lui manquait le péroné. Il portait des chaussures spéciales. Il a vécu une enfance d’enfant handicapé. Il ne pouvait pas courir et jouer avec les garçons du quartier. Alors maman racontait qu’il restait assis avec Manou, la mère d’Edith (qui s’est plus tard mariée avec Ernest, le frère de mon père), sur les marches de l’escalier rue de cimetière et qu’il jouait avec les filles. Ce n’était pas du tout habituel à l’époque, ni valorisé.
Sa stratégie pour avancer dans la vie a été de surcompenser, de nier son handicap.
Sa philosophie, qu'il a diffusé dans sa famille, était :
« Tout est possible, il suffit d’y croire ! », « Wer will, der kann ! ».
Un jour, enfant, je lui ai demandé : « Papa, qu’est-ce qu’un miracle ? »
Il m’a répondu : « C’est un type avec des béquilles qui veut prendre le train. Et voilà son train qui démarre... Il lâche ses béquilles pour courir après le train ! Ha ! Ha ! Ha ! »
Son chemin d’incarnation lui fit rencontrer les circonstances de vie qui lui permirent d’expérimenter ses projets de vie de promoteur : devenu dessinateur (métier col blanc, vu son handicap) il devint secrétaire particulier d’un entrepreneur qui s’occupait de l’établissement des barrages hydrauliques sur le Rhin. C’était un travail de pionnier et il est devenu ce que la bourgeoisie locale appelait alors un parvenu, avec une notion de condescendance, mais que outre-atlantique, selon les héros auxquels s’identifiait mon père, on appelait un « self made man »."
 
***
Merci de m'avoir suivi jusque-là. Honneur à nos Anciens qui se sont battus pour leur pays, même s'ils n'étaient que d'adoption !
M.L.
 
PS : Je publierai prochainement quelques témoignages familiaux directs en complément de cette étude.
 
 
 
Echanges en commentaire sur les réseaux à propos du doc 2 :
Mathieu Lavarenne  Blockleiter : Sous l'Allemagne nazie, un blockleiter était un membre officiel du NSDAP chargé de la surveillance politique d'un îlot urbain représentant 40 à 60 foyers, constitué soit d’un immeuble collectif, soit d’un groupe d’habitations individuelles.Les blockleiters avaient pour ordre de signaler aux Ortsgruppenleiter tous ceux qui critiquaient le régime nazi. Leur nombre était environ estimé à 600 000.
Kreisleiter : Un Kreisleiter était un cadre officiel du NSDAP (le Parti nazi), chargé de la surveillance politique d'un Kreis, subdivision territoriale de l'Allemagne nazie. Il avait un rôle d'animation et d'organisation politique dans son arrondissement.
Didier Simon  Du Blockleiter au Gauleiter, leur rôle n'était pas uniquement politique, mais également administratif. Dans un Etat fasciste, il n'y a pas de distinction entre l'Etat et le parti.
Mathieu Lavarenne  Oui, tu as raison, le petit texte sur le Blockleiter/Kreisleiter ci-dessus, trouvé sur le net est simplificateur et ne fait pas ressortir la nature d'un régime autoritaire de type fasciste. On peut même dire qu'il n'y a pas de distinction entre le Parti et le gouvernement, entre le gouvernement et l’État, ni surtout entre le chef de l’État et l'État... et plus fondamentalement encore entre l'individu et la fonction. Ce qui aboutit à ce paradoxe que l'État le plus centralisé, ou plutôt le plus pyramidal de façon hiérarchique, est aussi le plus décentralisé ou plutôt le plutôt déconcentré dans la mesure où chaque petit Kapo ou chaque blockleiter, Ortsgruppenleiter, etc avait un pouvoir discrétionnaire et arbitraire incroyable puisqu'il avait quasi droit de vie et de mort sur n'importe qui. Le risque c'était que chaque élément de cette chaîne alimentaire bouffe l'autre, sauf à avoir un protecteur plus puissant...
N'oublions pas que le modèle absolu d'Hitler était la Nature, qu'il divinisait, qu'il préférait les animaux, et notamment son chien, aux humains, et que la loi de la nature, c'est la loi du plus fort (plus musclé, plus souple, plus rapide, plus malin, mieux armé, plus coloré, plus culotté...) et que c'est donc la loi de la jungle, qui n'est pas une loi...
J'ajoute encore qu'une des caractéristiques de tous les régimes fascistes, c'est qu'ils veulent fabriquer un Homme nouveau, un humain supérieur, un humain qui parvient à dépasser sa condition humaine pour soi-disant renouer avec une origine perdue (la nostalgie de l'Ur primale ou de l'âge d'or...) en éliminant les déchets artificiels de la société politique par essence dégénérée.
Le fascisme en ce sens n'a pas de couleur politique, souvent même il n'a pas d'odeur pour ceux qui d'en croient prémunis... il peut venir de la droite, de la gauche tout comme de l'extrême centre. Et le grand tort de bien des analystes, c'est de confondre fascisme et régime réactionnaire, qui ne se superposent pas.
La réaction, c'est la volonté d'un fantasmatique retour en arrière. Le fascisme est souvent progressiste, puisqu'il s'agit de la volonté de dépasser le présent et la condition humaine pour créer une humanité nouvelle.
Le transhumanisme (dont le concept est encore bien mal détouré) a ses atouts indéniables. Mais il est potentiellement et substantiellement fasciste s'il devient politique, en instrumentalisant la Science, transformée en dogme, avec ses prêtres installés et sa Nomenklatura, ses excommunications et ses boucs émissaires, mais aussi ses médias allégeants, c'est-à-dire consentants, qu'ils soient privés ou publics, peu importe... et en usant donc de la Technologie, notamment des biotechnologies, pour façonner son Nouveau Monde au forceps idéologique (hardpower pour les uns, softpower pour les autres, autrement dit le bâton et la carotte, autrement dit le contrôle social numérique et les réseaux d'influence avec son lot d'idiots utiles).
 
 
Commentaire sur les réseaux à propos du doc 14 :
Thomas Lavarenne
348370983_6322176037861362_1611443198670975064_nSuper la série sur Robert! Beau travail ! Merci. Il y a peut-être un petit parallèle (toute proportion gardée) avec l'histoire d'Heisenberg qui, avant la guerre, a choisi de rester en Allemagne et a pris la tête de la recherche atomique allemande. Officiellement hostile aux nazis avant guerre (il a été inquiété et jugé, destitué de son poste, traité de juif blanc..etc.). Face à ses nombreux amis et collègues qui le supplient d'émigrer il rétorque quelque chose du genre "cette folie ne durera pas et qu'il y aura besoin de gens de bonne volonté pour reconstruire tout ce qui aura été détruit ensuite" et aussi que pour lui c'était facile de partir et de trouver un poste aux états-unis mais qu'en sera t'il pour tous ses collaborateurs et amis ici? Evidemment il a du faire des compromissions, des sorties avec les plus haut dignitaires nazis,...etc. Ce qui est plus compliqué dans son cas c'est qu'il n'y a pas de témoignage clair en sa faveur, il n'y a en grande partie que sa parole et celle de ses proches. Néanmoins des enquêtes indépendantes ultérieures tendent à prouver qu'il aurait eu des contacts avec l'organisation de la rose blanche, qu'il aurait tout fait pour cacher et aider à fuir des collaborateurs juifs... Concernant le programme atomique allemand son but aurait été d'en conserver la tête afin de l'orienter vers le nucléaire civil, et encore en annonçant des résultats dans un horizon lointain. Ce qui n'intéressait absolument pas les nazis, ils n'ont donc que très peu investi là dedans, préférant investir massivement dans la production de munitions "classiques". C'est exactement ce qu'ont constaté les alliés à la fin de la guerre, ils ont été fortement surpris de voir que le programme allemand sur la bombe atomique était au point mort, et qu'en fait ils travaillaient vaguement sur un réacteur civil, dans un vieux hangar, avec finalement très peu de budget.
Heisenberg aurait tenté d'avertir son ami Niels Bohr, lors d'une célèbre rencontre en 1941 à Copenhague (il avait eu l'autorisation de s'y rendre, mais surveillé de près et sur écoute...). Il a tenté de lui faire passer un message, et c'est peut-être un des plus gros quiproquos de l'Histoire. Bohr était son mentor et l'un de ses amis les plus proches avant la guerre, alors qu'il essayait de le rassurer sur ses intentions sans se compromettre, Bohr a totalement compris l'inverse, il est reparti fermement convaincu que Heisenberg savait comment fabriquer une telle bombe et que l'Allemagne allait mettre tous les moyens pour y parvenir..
En réalité, le fait qu'Heisenberg soit resté a totalement terrorisé les autres scientifiques, et contrairement à ce qu'il a sans doute voulu, a provoquer pire que ce qu'il souhaitait, c'est à dire qu'étant considéré par ses pairs à l'époque comme le plus grand scientifique sur le sujet, tout le monde pensait que s'il y avait une personne capable de réaliser l'arme atomique, c'était lui.. C'est ce qui a justifié qu'autant de scientifiques se soient lancés corps et âmes dans la fabrication d'une arme aussi terrible.. Et d'ailleurs après Hiroshima et Nagasaki, leur seul espoir de "redemption" était de se dire qu'ils ont créé cette horreur car les nazis étaient proches d'y arriver. Sauf que.. En regardant simplement les faits: Heisenberg a tout fait pour décourager les nazis sur la faisabilité d'une telle arme, le programme nucléaire militaire nazis a officiellement été abandonné au profit du volet civil uniquement. Les scientifiques tels que Bohr, Einstein.. tous les exilés aux états-unis ont, contre leur gré, réellement fabriqué cette arme effroyable et pour eux la responsabilité est devenue insoutenable. Leur seule solution pour conserver leur équilibre psychique était de se persuader que l'Allemagne, avec Heisenberg en tête, jetait toute ses forces dans la création de la bombe.
Beaucoup sont devenus extrêmement durs avec lui: le traitant de salaud, d'imbécile, disant qu'il était vexé de n'avoir pas réussi, qu'il aurait fait une "bête erreur de calcul" sinon il aurait réussi.. etc.
Bref on s'éloigne quand même pas mal de l'histoire de la cimenterie d'Altkirch, mais le parallèle je le voyais sur le choix de rester aux commandes et tenter d'agir de l'intérieur, au risque de se compromettre et de passer pour un collaborateur, et de ne jamais pouvoir être complètement réhabilité dans une frange de l'opinion...
En tout cas, c'est vraiment une période sombre et complexe à juger après coup.. En Allemagne et aussi en Alsace, la question est encore d'autant plus complexe. Pour ceux qui sont intéressés par cette histoire, tous les détails dans le livre ci-joint.
 


Quelques sources en image :

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