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16 octobre 2001

"Pouvoir et contre-pouvoir" : lettre à un ami altermondialiste

 

Mondialisation

"Pouvoir et contre-pouvoir"

Lettre à un ami altermondialiste

 

A l’heure où s’ouvrent les débats sur les présidentielles, comme tu le sais déjà, j’ai décidé de soutenir Jean-Pierre Chevènement. Ce dernier semble en effet le seul candidat à vraiment apporter un peu d'air au débat, par l’originalité de son positionnement, et à vouloir sérieusement s'attaquer à « la dictature des marchés financiers », comme il le dit lui-même. Il est aussi porteur de ce que veulent dire les mots de citoyen et de République, dans toute leur profondeur historique. Or, précisément, un enjeu fondamental de cette campagne va consister à nous mettre au clair avec, entre autres, ces vocables dont les surdéterminations nous voilent les véritables enjeux.

La difficulté va premièrement être de faire comprendre que l'Europe telle qu'elle se construit n'a rien d'un mouvement vers l'universel, mais qu'au contraire les ethnicismes les plus douteux s’en accommodent parfaitement (comme Lionel Jospin reste un européiste cohérent lorsqu'il promeut le processus de Matignon et avec lui l’émiettement des institutions républicaines, en commençant par la Corse), mais aussi que les contre-pouvoirs de la société civile seront insuffisants à nous sortir de l’ornière.

L'universel dont je parle, c'est l'idée de citoyen en tant que tel, c'est-à-dire l'homme en tant qu'il fait consciemment abstraction de ses particularités (locales ou libidinales), de ses intérêts purement personnels pour s'élever vers une considération d'un bien collectif, du collectif tout court. Le citoyen, ça n'est pas le sujet (celui du roi ou de l'empereur). Le sujet, c'est l'homme en tant qu'il subit ; le citoyen, l'homme en tant qu'il (s')agit. L'universel n'a pas besoin de sol, certes, mais il a besoin d'un garant, d'une institution qui rende ses décisions sensibles, efficientes. C'est ce qui manque justement à l’association ATTAC (mais cette association est toutefois précieuse, et l'idée de contre-expertise citoyenne est une des plus belles de ces derniers temps : c’est notamment grâce à elle que l’AMI est tombé en octobre 1998), si le citoyen a des droits à faire valoir il a aussi des devoirs, signes de ce que ses droits ne sont pas de pures paroles en l'air. Qu'ATTAC soit un contre-pouvoir, cela ne règle pas le problème du pouvoir, le pouvoir du peuple (le kratos du démos, ce peuple qui n'est pas la foule, l'agrégation d'individus reliés par leur seule humanité, par leur seule corporéité...). Il faut un cadre pour la loi, volonté du peuple, expression du collectif qui dépasse tous les contrats particuliers (ces contrats nécessairement asymétriques entre une puissance patronale et une demande ouvrière qui réclame, comme un esclave ses chaînes, le « droit au travail » alors que le « droit du travail » devrait suffire).

C'est précisément cela que rend possible la pensée de la République comme union des contradictoires, comme pacification des contradictions (dont l'idée de laïcité est une idée force : la possibilité de coexistence pacifique d'intérêts et de conceptions radicalement différents et opposés), ce qui ne signifie pour autant pas leur élimination. Or, la démocratie libérale n'est pas véritablement républicaine dans la mesure où elle croit pouvoir se passer de la politique comme prise en considération consciente du point de vue citoyen, laïc, loin de toute chapelle, religieuse ou non, des choix de vie et de société. Elle considère l'homme comme un consommateur, un client, un acteur social, un entrepreneur, à la limite comme un électeur, mais pas comme un citoyen. C’est une réduction de la réalité politique à la réalité sociale. Un écrasement de la notion d’Etat par celle de société civile. C’est encore à ce niveau que les réponses apportées par les contre-pouvoirs des ONG seront insuffisantes. Il ne suffit pas de réguler le pouvoir par un contrepoids, il s’agit d’y accéder pour corriger les politiques menées (aujourd’hui, sous le cache-sexe d’une mondialisation présentée comme un simple phénomène naturel qui adviendrait sans même que les hommes y soient pour quelque chose… Une idéologie déterministe qui est l’héritière tant du scientisme économique libéral que du matérialisme historique marxiste, à l’opposé de l’idée républicaine.

Par ailleurs, il va aussi falloir repenser la notion de nation, comme communauté de citoyens sans nationalisme (sans xénophobie, sans fermeture à l'autre), indépendamment des origines, des croyances particulières, des caractéristiques physiques et génétiques, mais comme assurance de soi généreuse, accueillante et dispendieuse, et de ce fait montrer que la République est la condition de possibilité d'une réelle politique étrangère qui ne se réduit ni à la guerre, ni à un type de "développement" ou d’humanitaire néo-colonialiste, cet impérialisme de la société de marché qui transforme tous les Pays (on devrait peut-être dire Etat...) dits émergents en pièces maîtresses de l'économie grise, crimino-légale. Les événements récents ne font d’ailleurs qu'accréditer cela. Une réelle politique étrangère ? Ouverture aux autres cultures et non pensée unique qui ne débouche que sur une compréhension narcissique des enjeux de la Civilisation, comme processus de dépassement de l’Homme par l’Homme. Don et réception. Savoir donner, sans volonté impériale, tout autant que recevoir, dans un souci pour le moins laïc. Il faut penser au moins bilatéral. Et agir en ce sens.

Et c’est dans ce cadre de la politique étrangère qu’il va en outre falloir poser frontalement le problème de la criminalité financière, et en général de la criminalité dite en col blanc, et affirmer la volonté de mettre en place une justice capable d'ébranler les réseaux de la drogue, de la prostitution, du trafic d'armes et de l'évasion fiscale, ces réseaux qui précisément se jouent des frontières (ou tout au moins voient d’un œil très complaisant l’idéologie fantasmatique de l’effacement des frontières) et qui prolifèrent immanquablement lorsque l’Etat se retire et laisse advenir une nouvelle jungle, moderne et apparemment civilisée. Réseaux et lobbies, deux mamelles de la société post-moderne, l’une plus informelle, l’autre plus officielle, reconnue comme telle par les instances européennes (il suffit de voir le nombre d’antennes de lobbying ayant pignon sur rue à Bruxelles).

Car l'Europe, cette Europe fédérale, n’est là non plus pas une solution, et si elle l'était, ce qu'on y perdrait ne serait sans doute pas tolérable. Il devient nécessaire d'envisager d'autres moyens de coopérations inter-nationales et non supra ou trans-nationales. L’Europe est trop petite pour une France qui doit penser bien au-delà, et bien au-delà aussi du cadre indispensable de la Francophonie.

 

Autre point, concernant les rapports entre Université et République : pourquoi pas lancer un appel aux scientifiques républicains qui souhaiteraient affirmer que la science n’a pas le monopole de la raison, qu'il y a une autre raison que la raison scientifique, par exemple une raison politique : il faut séparer l'Etat de la science ! Et c’est évidemment réciproque. La science "autonome" n'est aujourd'hui que le repère des lobbies de tous genres, en particulier agro-alimentaires ou pharmaceutiques : enjoignons les hommes de science à réclamer un débat sur les enjeux de la recherche (OGM, brevets sur le vivant...) : quelle science voulons-nous pour quel monde ? Il n'y a pas qu'une Science omnisciente, omnipotente et éternelle, comme nous avons tendance à le croire ou à vouloir le croire... Aucune science n'est jamais neutre, elle porte toujours en elle un projet de société (parfois inconscient). Libérons la science par la République !

Il faudrait creuser la question de la "souveraineté alimentaire" dans le cadre républicain : l'on sait que si l'Etat français ne réclame pas l'application ferme du « principe de précaution », ce n'est pas l'Europe qui le fera, et encore moins l'Europe des 27 ou 28 que nous promet le traité de Nice...

Je respecte et applaudis vigoureusement à tous les travaux déjà menés sur tous ces problèmes, tant par ATTAC que par la Confédération Paysanne, tous ces mouvements de ladite "société civile", et dont se sont massivement emparés des citoyens de tous bords, mais le moment est venu d'articuler tout cela dans un cadre républicain, donc institutionnel, et d'en tirer un programme politique clair et intransigeant.

 

Je me répète, la posture du contre-pouvoir ne suffit pas. La politique n’est pas l’ennemi. Elle est l’outil dont certains souhaiteraient que nous nous débarrassions… Il faut rendre l'Etat au collectif et le collectif à l'Etat : redonner sa légitimité aux choix politiques en tant que tels, et cesser de prêter plus d'attention qu'il ne le faut aux gémissements plaintifs d'intérêts particuliers contrariés. Il faut sonner le glas de l'individualisme forcené et hystérique pour favoriser les comportements d’Hommes moins enchaînés à leurs appétits égoïstes, mais sans contrarier la création, l'initiative et l'entreprise personnelle. Encore une fois l’idéal républicain est précieux et incontournable, comme union des contraires. Entre l'individu et le citoyen, comment trouver l'équilibre non fascisant (le fascisme, c'est quand les citoyens et les individus redeviennent de simples sujets, qui doivent se ranger, comme un seul homme, derrière les oripeaux flamboyants d’une pensée unique) ?

Seule la raison politique, le débat rationnel, ou encore la laïcité (qui n'est pas, entendons-nous bien, l’athéisme, cette conviction parmi d’autres) peuvent nous accompagner sur cet ardu chemin. Le débat tout seul ne suffit pas, il faut qu'il provienne d'une volonté républicaine et citoyenne forte. Rien à voir avec les pseudo-débats télévisés (la faillite de la TV et de ses sbires, voilà encore un sujet de réflexion, même s’ils sont bien plus nombreux que chez nos voisins européens, et notamment en période électorale), ni non plus avec une opposition stérile de gens qui viennent avec leurs opinions pour ne pas en changer. Rien à voir non plus avec tous ceux qui ne font rien en se disant que si cela les touchait eux, alors peut-être qu'ils réagiraient, mais comme pour le moment "les problèmes des autres" ne les gênent pas, il n'y a pas de raison de se remuer...

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