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9 mai 2019

« Grande justice » et « grande politique ». La question de la médiation institutionnelle chez Nietzsche.

« Grande justice » et « grande politique »

La question de la médiation institutionnelle chez Nietzsche

                                                                par Mathieu Lavarenne 

 

Mini-mémoire de Master de Philosophie, sous la direction de Gérard Bensussan (Unistra)

 

 

Portrait_NietzscheL’œuvre de Nietzsche est un labyrinthe où il fait bon se perdre. Une œuvre multiforme, riche en significations multiples, une œuvre qui met en avant les notions de perspective et d'interprétation et qui s'y soumet elle-même sous la forme assumée de l'aphorisme.

 

Dans les milliers de pages publiées ou dans les fragments posthumes, chaque affirmation nietzschéenne pourra trouver sous la plume même de son auteur une autre affirmation pouvant justifier, à bon ou mauvais escient, une interprétation contraire. Cela vient de ce que la première méthode de Nietzsche (au sens grec, de μετά ὁδός, méta odos, suivant un chemin tracé) est celle qui consiste à ouvrir un espace pour la pensée, un jeu dans les concepts, comme on peut parler d'un mécanisme qui aurait du jeu : tailler une piste à la serpette dans la jungle du monde et de ses représentations.

 

 

Comme toute notion nietzschéenne, le concept de justice se décline dans les textes du philosophe en de multiples significations : exercice de la domination des forts contre les faibles ; ou à l'inverse, conséquence d'une révolte des esclaves, imposition par la loi et le droit d'un ordre du monde favorable aux faibles contre les forts ; ou encore la forme transvaluée de la « grande justice », comme affirmation de la vie par-delà les forces réactives et le ressentiment.

 

« Nouvelle justice qui est nécessaire », pratiquée par de « nouveaux philosophes », dans « un autre monde à découvrir » (§289 du Gai Savoir) : la réflexion menée autour de cette notion apparaît comme détachée des conditions de sa détermination concrète, entendons par là les institutions judiciaires qui peuvent porter l'exercice de la justice, dans un monde commun à tous. En effet, il ne suffit pas d'« être juste » dans son rapport aux autres, encore faut-il pouvoir être juste, dans une société, dans un collectif normé par des règles.

 

Que peut donc être une justice par-delà bien et mal ? Quelles institutions peuvent concrètement correspondre à une société post-morale ? Ne serions-nous pas là devant un point aveugle de la philosophie nietzschéenne, voire devant une de ses limites, aussi profonde et féconde soit-elle par ailleurs ?

 

 

Plus largement, ce sont donc les rapports entretenus par Nietzsche avec les notions d'Institutions, d’État, d'autorité ou encore de souveraineté que nous souhaitons interroger. Et plus particulièrement la question (abyssale) de la « grande politique » dont il est question à maintes reprises, notamment dans les multiples plans de l'ouvrage inachevé de Nietzsche, prétendument reconstitué par son antisémite de sœur, Elisabeth Förster-Nietzsche, sous le nom de « La volonté de puissance »1.

 

Autrement dit encore : une justice sans institution est-elle pensable ? Peut-elle être juste ? N'est-elle pas littéralement une justice « méta-physique », autrement dit « u-topique », et, en ce sens, potentiellement dangereuse ? Comme souvent, Nietzsche propose poison et remède. Il oblige la pensée à se mouvoir.

 

Commençons par observer la présence de certains personnages dans les œuvres de Nietzsche pour les confronter avec les idéaux de justice.

 

 

1. La justice intérieure, entre intégrité et intégrisme – la figure de Don Quichotte

 

Don Quichotte est un personnage, certes très secondaire, mais qui apparaît à plusieurs reprises dans les œuvres du penseur allemand. Ce héros (ou plutôt cet anti-héros) semble avoir fortement marqué l'imaginaire du philosophe, car toutes les fois où il est cité, Nietzsche montre qu'il a une connaissance assez précise de cette œuvre maîtresse de Cervantès, publiée en deux tomes entre 1605 et 1615.

 

Nous, lecteurs modernes, sommes d'ailleurs souvent trompés par le masque anachronique du bon Don Quichotte, cette figure bon enfant, parfaitement positive, du bon justicier, un peu fou, qui va au bout de ses idées, prêt à se battre pour les défendre, au point d'être parfois marginal, sans jamais renoncer. Le Chevalier errant représente ainsi couramment l'intégrité face à la perversion, l'honnêteté face à la trahison, la justice contre l'injustice, au prix certes d'une trop grande témérité. L'imagerie d'Epinal convoquée en ce sens est celle du fameux combat contre les moulins à vent2. S'imaginant s'en prendre à une armée de géants, Don Quichotte ne recule pas. Même s'il doit être seul, ses idéaux lui imposent l'action. Cette image positive ne s'est pourtant construite que récemment, à la charnière du XIXème et du XXème siècle, et jusqu'à aujourd'hui.

 

En quoi cette œuvre romanesque est-elle susceptible de nous éclairer dans notre réflexion sur Nietzsche et sur la justice ?

 

 

Quand on lit Don Quichotte de la Manche avec attention, on ne peut qu'être saisi par le caractère excessif de cet anti-héros, totalement déconnecté de la réalité, qui vit dans la pureté abstraite de ses idéaux. Car Don Quichotte se croit chevalier à une époque où la chevalerie a disparu depuis des lustres, il est tombé dans le piège de son imagination et il prend ses désirs pour la réalité. C'est ainsi qu'il part sur les routes, avec un plateau de barbier sur la tête en guise de heaume (le comble du ridicule, mais il n'en a pas conscience) pour sauver la veuve et l'orphelin.

Paradoxalement, c'est précisément au nom de la pureté de ses idéaux de justice et de vérité, c'est précisément par l'effet de son intégrité morale et de ses bons sentiments, que Don Quichotte va toujours provoquer pire que ce contre quoi il prétend lutter. Il est ainsi le symbole de la justice désincarnée, pire, du pur sentiment érigé en critère absolu de la justice, et à ce titre totalement contre-productif. 

Ainsi, au chapitre XXII du premier Tome, intitulé « De la liberté que Don Quichotte donna à des malheureux que l'on emmenait contre leur gré où ils ne voulaient pas aller », on peut tout d'abord s'imaginer que le preux chevalier va délivrer des opprimés contre le joug des puissants. Mais c'est sans compter la corrosive ironie de Cervantès, lui-même buriné par le soleil de l'expérience. En réalité, Don Quichotte rencontre une chaîne de forçats du roi que l'on emmène aux galères, pour avoir commis les pires crimes (vols, viols, escroqueries...). Mais le pseudo-chevalier ne le voit pas ainsi : « mon métier est d'empêcher que l'on fasse violence aux misérables et que l'on opprime les nécessiteux ». Deux qualificatifs auxquels correspondent, bon an mal an, les crapules enchaînées. Remarque de bon sens d'un des gardiens, représentants assermentés de la loi : « Remarquez, Monsieur, que la justice, qui agit au nom du roi, ne fait pas violence à ces gens-là et qu'elle ne les opprime pas non plus : elle les punit pour leurs crimes ». Cette chaîne humaine peut être lue comme une image de la justice séculaire, expression du droit positif de la contrée traversée.

C'est au nom d'une autre justice que Don Quichotte va intervenir, et plus précisément au nom d'un idéal, celui de la liberté humaine (presque des droits de l'Homme avant l'heure, qui ne sont pas ceux du citoyen, ce sujet concret d'un Etat donné)3 : « Bien que votre châtiment soit la juste punition de vos fautes […], vous partez ramer aux galères, contraints et forcés. […] Il n'est pas juste de réduire au rang d'esclaves ceux que Dieu et la nature ont fait libres ». Les lois divines, qui au passage seraient les mêmes que celles de la nature, seraient donc supérieures aux lois en usage. Et quel critère pour ce jugement ? Le seul sentiment individuel d'avoir été choisi par Dieu pour « défendre les faibles », dit Don Quichotte, « et les protéger contre l'oppression des plus forts ». L'idée même d'institutions régulières est purement et simplement niée dans l'affirmation d'une conviction personnelle qui confine ainsi à l'intégrisme et au fanatisme4. Don Quichotte est un idéologue dogmatique qui assume intégralement les conséquences pratiques de son modèle théorique et livresque.

Car, quel est le résultat des courses, devant le refus des gardiens d'obtempérer ? Une catastrophe : Don Quichotte les attaque brusquement, et blesse grièvement l'un d'eux. Les forçats en profitent pour se libérer, et le héros exige d'eux qu'ils aillent raconter, en signe de gratitude, cette aventure à sa belle (et fantasmatique) Dulcinée du Toboso. Les forçats, qui ne perdent pas le sens des réalités, vont séance tenante partir commettre de nouveaux méfaits sur les routes espagnoles, non sans avoir violemment piétiné le chevalier et son fidèle écuyer (il y perd à nouveau quelques dents et, au final, plus qu'il n'en a dans la bouche).

 

Le moins que l'on puisse dire, c'est que la figure bon enfant évoquée ci-dessus est bien lointaine. Le reste de l’œuvre de Cervantès montre encore d'autres facettes du personnage : paranoïa, mégalomanie, esprit colérique et impulsif, manichéisme... La liste est longue et accablante. Même si son côté extrêmement naïf le rend parfois touchant et que l'on compatit paradoxalement à ses malheurs d'homme de bonne volonté.

 

Ce modèle (illustré à maintes reprises dans le texte de Cervantès) est celui de tous les intégristes, persuadés que Dieu (ou toute autre figure d'un Surmoi particulièrement démesuré) parle dans leur cœur, et que la justice n'est donc que l'application au quotidien de ses principes, dans le déni le plus complet des autorités instituées. Cervantès nous met donc indirectement en garde contre une interprétation trop intériorisée de la justice, déconnectée d'une institution judiciaire corrélative, d'un droit positif.

 

 

Venons-en au regard que Nietzsche porte sur le chevalier ibérique. Quand il parle de « donquichotterie » à propos de la quête de la vérité - au §344 du Gai Savoir (1887) « De quelle manière, nous aussi, nous sommes encore pieux » -, c'est pour en faire un synonyme de « déraison enthousiaste ». Le sens positif du XXème siècle n'est pas encore perceptible.

 

Dans Humain, trop humain (1878), § 133, Don Quichotte est comparé au chrétien qui s'humilie devant une idée illusoire, celle de son Dieu, comme le pseudo-chevalier le fait en se référant aux héros des romans de chevalerie qui lui ont dévoré l'esprit.

 

De même, dans la deuxième Considération Intempestive (1874), Nietzsche parle des masques et déguisements qui font des hommes « des abstractions pures et des ombres », coupées par les « études historiques » de leur « propre individualité » et de leurs « instincts » : « L'homme d'esprit sérieux ne doit pas être forcé de faire le Don Quichotte, car il a mieux à faire que de se battre avec ces prétendues réalités »5. On ne peut pas dire que ce symbole d'une certaine vision de la justice qu'est Don Quichotte soit le modèle défendu par Nietzsche. Don Quichotte est trop un excentrique pour être pris au sérieux.

 

Dans Aurore (1881), au §114 (« la connaissance de celui qui souffre »), le philosophe allemand évoque la fin terrible de Don Quichotte, littéralement tué par la perte de ses illusions, par son retour désenchanté à la réalité, par la fin brutale de son délire (au sens psychiatrique du terme : une succession d'actes, liés rationnellement les uns aux autres, mais déconnectés du réel : bref, une pure logique). Et il compare cet aboutissement aux dernières paroles de Jésus sur la croix « Mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ? » Don Quichotte a perdu la foi en ses croyances, il est revenu à la réalité. Mais il ne la supporte pas6. Sans doute était-ce la raison première de sa sortie de la raison commune pour entrer en déraison (comme il entrerait dans les ordres). Une fin ressentie comme profondément injuste, parce que totalement disproportionnée au regard de sa naïveté confondante.

 

Dans la Généalogie de la morale (1887, deuxième dissertation, § 6), Nietzsche fait allusion à la scène de « la cour de la duchesse », cette dernière jouant avec grande cruauté de cette naïveté sidérale du chevalier idéaliste et de la simplicité de Sancho Pança, son écuyer. C'est d'ailleurs à cette occasion que Nietzsche écrit qu'il vient de lire les deux tomes de Cervantès en intégralité, pour abonder sa réflexion sur le plaisir de la souffrance et l'évolution de la conscience morale.

 

Il conviendrait dès lors de rechercher, au-delà des occurrences textuelles susmentionnées (à compléter par celles des publications posthumes), les effets de sa lecture, sans doute attentive (conforme à son art de la digestion lente), du roman de Cervantès dans le reste de ses œuvres. Le travail reste encore à faire. Quoiqu'il en soit, la figure du chevalier justicier n'est pas véritablement retenue par Nietzsche comme une figure positive, encore moins comme un modèle de justice.

 

 

D'autres éléments de réflexion sur Nietzsche peuvent être encore et toujours suscités à la lumière des œuvres de Cervantès. Comme l'écrit René Girard : « Si l'on envisage avec Nietzsche la rivalité comme une suite de nobles tournois avec d'autres chevaliers de la volonté de puissance et la victoire comme le légitime triomphe du meilleur d'entre eux. Voilà qui ressemble fort aux rêves de Don Quichotte. Nos deux chevaliers errants n'ont pas l'air de réaliser que 'le monde' n'a que faire, en général, de ce genre de défi »7. Autrement dit, l'attitude nietzschéenne à l'égard de la réalité politique et sociale qu'il combat n'est-elle pas en partie celle que Cervantès attribue, avec une grande finesse psychologique, au chevalier à la triste figure ? Autrement dit encore, le rapport de Nietzsche à la question des fondements, à la remise en cause radicale (au sens étymologique du terme) du monde et de son époque ne le confine-t-il pas à une forme de déconnexion à l'égard de la réalité politique de son temps et donc d'une réelle possibilité de changement ? Car comment changer le réel si l'on n'a pas prise sur lui et si l'on se contente d'incantations à la révolution mondiale ? La critique serait radicale. Au-delà de Nietzsche, la figure de Don Quichotte permet en tout cas de penser cette posture morale particulièrement répandue qui consiste à s'offusquer de l'injustice, à proclamer la nécessité de la justice sur tous les toits, sans jamais s'en donner les moyens concrets (humains plus qu'humains, c'est-à-dire institutionnels, comme expression de la dimension symbolique de l'Homme qui se concrétise dans l'abstraction). Tout en provoquant parfois pire que ce contre quoi on prétend lutter.

 

En tout cas, à une époque où en France s'élabore, avec toutes les nuances entre idéal républicain et idéal monarchique, toute une philosophie du droit constitutionnel et de la politique, pas forcément à travers de grandes théories universitaires, mais dans la pratique, dans le droit lui-même et dans les nombreux discours d'hommes politiques mâtinés de philosophie8, force est de constater que la philosophie nietzschéenne, à l'instar d'une grande partie de la tradition métaphysique allemande, ne creuse pas véritablement cette approche, contrairement par exemple aux Principes de la philosophie du droit (1820) de Hegel.

 

Faut-il y voir une trace de ce point aveugle que serait plus généralement la politique chez Nietzsche ?

 

 

2. L'injustice assumée – la figure de César Borgia

 

Une autre figure récurrente dans les œuvres de Nietzsche peut (paradoxalement) être rapprochée du personnage de Don Quichotte. Il s'agit de César Borgia. Cette figure politique de l'Italie de la Renaissance, qui semble aimer le pouvoir pour lui-même, pour le plaisir de dominer autrui, pour le plaisir de dominer tout court. Voici en quelque sorte une figure inversée de Don Quichotte (mais proche, si proche dans ses effets dévastateurs), puisqu'elle est le symbole de l'injustice assumée, de la fin qui justifie les moyens, tous les moyens.

 

Les deux sources (contradictoires) du philosophe allemand sont Nicolas Machiavel et Jacob Burckhardt : si pour le premier, Borgia incarne « le bon usage de la virtu, cette force conquérante et courageuse qui sait se montrer féroce et impitoyable envers quiconque menace la cohésion de l'armée ou de la cité conquise »9, pour le second, c'est « une bête brute incapable de contrôler ses instincts », animée par « une soif de sang instinctive », « une rage de détruire et de tuer », une « cruauté » sans mesure qui « se déchaîne aveuglément dans le meurtre gratuit d'inconnus, dans la dévastation absurde des cités conquises ». Mais dans les deux cas, si justice il y a dans la pratique de César Borgia, c'est celle de l'arbitraire, celle du bon vouloir du souverain, incarné dans un individu à forte personnalité et non véritablement à travers une fonction, dans le cadre d'un État de droit.

 

C'est ce même César Borgia à qui Nietzsche reconnaît le mérite « d'avoir pris ses distances à l'égard du christianisme en substituant aux valeurs chrétiennes les valeurs opposées (force conquérante, bravoure, virilité, dureté, égoïsme), dont il était l'incarnation au moins partielle »10 et dont il affirme de façon provocante qu'il aurait pu devenir « Pape » (L'Antéchrist, §61)11.

 

 

Néanmoins, Nietzsche ne fait de César Borgia qu'un « surhomme inaccompli », comme le dit Christophe Bouriau. Même « s'il manifeste à sa manière 'le triomphe de la vie', le débordement d'énergie de la grande santé », il lui manque la « capacité de dominer ses instincts et ses forces, de manière à les canaliser dans la réalisation d'une œuvre »12. Ce personnage, haut en couleurs, ne peut donc lui non plus symboliser pour Nietzsche la figure de la justice accomplie, de la grande justice.

 

Ou faut-il alors la chercher ? Dans le for intérieur d'une conscience « transvaluée » ?

 

 

 

3. La justice comme triomphe sur soi

 

Plus accompli, plus surhumain, selon Nietzsche, il y a Napoléon, « cette synthèse d'inhumain et de surhumain »13. « Ce qui distingue Napoléon de Borgia, c'est que le premier a su mettre les vertus inhumaines d'intransigeance et de dureté au service d'un projet grandiose, au service d'une authentique création. […] Borgia a déployé une dureté et une inhumanité stériles, sous l'emprise d'instincts indomptés »14. Napoléon, en revanche, par l'exercice de son pouvoir, a souhaité « imposer de nouvelles harmonies, un nouvel ordre politique »15.

 

Voilà donc une caractéristique essentielle du surhomme : « la créativité, la capacité de canaliser passions et instincts dans la réalisation d'une grande oeuvre ». Le surhomme, l'homme du « par-delà bien et mal », n'est donc pas celui du déchaînement des forces de la nature, ni des instincts contrariés par la morale du ressentiment. Au contraire, le surhomme est celui qui canalise grandement ses pulsions pour les sublimer dans une opération de créativité. Nietzsche affirme ainsi que « l'homme supérieur serait celui qui aurait la plus grande multiplicité d'instincts, aussi intenses qu'on peut les tolérer. En effet, où la plante humaine se montre vigoureuse, on trouve les instincts puissamment en lutte les uns contre les autres (par exemple chez Shakespeare), mais dominés »16.

 

Une caractéristique que Nietzsche retrouve, d'une autre façon, aussi chez Goethe : « ce qu'il voulait, c'était la totalité ; il combattit la dissociation de la raison, de la sensibilité, du sentiment, de la volonté (prêchée par Kant, l'antipode de Goethe, en une scolastique qui révulse au plus haut point) ; il se disciplina jusqu'à faire de lui un tout, il se créa »17.

 

Voilà donc l'une des définitions de la justice convoquée par Nietzsche : dans le paragraphe déjà cité d'Aurore, il en parle en effet comme d'« un triomphe sur nous-mêmes »18. La justice, ou plutôt le fait d'être juste, ce serait donc l'affirmation de soi comme générosité, comme libération contrôlée de l'énergie vitale corsetée par la morale décadente. La capacité à gâcher, consommer, consumer, gaspiller que va décrire Georges Bataille renvoie à cette face de la justice nietzschéenne, qui tourne le dos à la définition égalitariste de la justice (à chacun la même part).

 

L'un des sens premiers du mot grec Dikè est en effet l'objet même de la Cosmogonie d'Hésiode : le partage, la séparation harmonieuse, donc l'attribution de la part qui revient à chacun, d'où l'ordonnancement du monde, du kosmos. La justice, c'est donc cet acte de construire un tout organisé à partir du chaos primitif. Et en l'occurrence, chez Nietzsche, il s'agit d'une action intérieure, un processus qui s'opère par l'éducation de l'esprit, par la volonté personnelle.

 

Mais c'est aussi une longue histoire, celle de la construction de la conscience, à laquelle s’attelle La généalogie de la morale en diagnostiquant le passage de la « mauvaise conscience » (comme nécessaire intériorisation des instincts vitaux) à sa version dégradée qu'est la conscience pécheresse : « Le péché, dit Nietzsche, est resté jusqu'à présent l'événement capital dans l'histoire de l'âme malade »19. Car c'est avec lui que l'esprit s'est rabougri sur lui-même. C'est à ce point précis du développement de la conscience qu'il s'agirait de repartir, afin d'aboutir à la fameuse transvaluation de toutes les valeurs.

 

La notion de souveraineté mériterait ici qu'on s'y attarde un peu. Nietzsche se situe clairement dans l'idéal des Lumières, celui de la majorité et de l'autonomie de l'individu qui se devient véritablement adulte lorsqu'il devient capable de se donner à soi-même ses propres règles. C'est la figure de la maîtrise de soi : deviens qui tu es, approprie-toi toi-même, devient ton propre souverain. Cette souveraineté semble toutefois s'exercer à côté, si ce n'est au détriment, de la souveraineté politique, la souveraineté populaire définie par la Révolution Française : « Le principe de toute Souveraineté réside essentiellement dans la Nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d'autorité qui n'en émane expressément » (article 3 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789). Nietzsche envisageait-il ce passage de l'individuel au collectif ?

 

 

4. La « grande politique »

 

Il y a selon Nietzsche des individus plus ou moins libres, plus ou moins supérieurs, plus ou moins affranchis des exigences de la conscience morale. Mais à l'inverse de l'idée véhiculée par la sélection naturelle de type darwinienne, ce ne sont pas les plus forts qui sont sélectionnés. Tout au contraire : « L'école de Darwin s'est partout trompée. […] La sélection n'a pas lieu en faveur des exceptions et des réussites fortuites : les plus forts et les plus heureux sont faibles quand ils ont contre eux les instincts organisés du troupeau, la lâcheté des faibles, le poids du nombre »20. D'où la nécessité proclamée d'une « grande politique » et d'une « grande justice » au service des forts, c'est-à-dire des êtres qui sont parvenus à se surmonter, à rebours d'un égalitarisme de condition, qui donnerait à chacun la même part, la même assignation.

 

Mais parce qu'on ne détruit réellement que ce que l'on remplace, il fallait, selon Nietzsche, proposer une nouvelle Bible, un nouveau livre, un nouveau mythe pour remplacer le christianisme, comme Platon voulut remplacer Homère dans le cœur et l'esprit des Athéniens. Ce fut tout l'objet du Zarathoustra : devenir le 5ème évangile. L'évangile tout court. La « bonne nouvelle » d'une nouvelle justice dans le monde, d'un nouveau partage, mais pas au sens égalitaire du terme.

 

Il faudrait mettre en place un nouvel ordre du monde dans lequel les forts seraient protégés des faibles, plus nombreux. Non seulement protégés, mais sélectionnés, favorisés, visant tendanciellement la disparition des faibles (ce qui n'implique pas une disparition physique, mais une suppression des conditions qui rendent possibles les esprits faibles et soumis) au profit d'un peuple de surhommes (qui deviendraient pourquoi pas progressivement majoritaires, au fil des générations). Ne faisons pas dire à Nietzsche ce qu'il ne dit pas. Mais il convient toujours de se poser la question de savoir comment les lacunes de sa réflexion ont pu rendre possibles les assimilations les plus barbares.

 

Car c'est là que le projet nietzschéen devient très flou et prend des airs d'utopie (ou-topos : ce qui n'a pas de lieu, ce qui ne s'inscrit pas dans la topographie). C'est là aussi que les formulations employées par le philosophe peuvent paraître comme très dures (ce qu'elles sont), voire dangereuses quand elles se trouvent absorbées par un projet politique : « Les faibles et les ratés doivent périr : premier principe de notre amour des hommes. Et l'on doit en outre les y aider »21. Autrement dit encore, il faut se poser la question de la valeur performative de son discours quand il est lu par ceux auquel il ne s'adresse pas : comment les faibles et ratés (par définition non conscient de leurs manques) comprendraient eux-mêmes cette formule à l'emporte-pièce ? Qu'en feraient les hommes du ressentiment (ou plutôt qu'en ont-ils fait) ?

 

Nietzsche, philosophe anti-platonicien (partisan d'un platonisme renversé, pour le coup), est bien moins disert sur les questions politiques que son ancêtre grec, Platon, qui même s'il donnait aussi dans l'utopie, proposait des séries entières de mesures très concrètes, tant dans les Lois, que dans la République, tout en ayant « mouillé sa chemise » lors de ses trois voyages en Sicile. Mais rien de tout cela chez Nietzsche. A croire que la « grande politique » ne fasse pas grand cas de la politique tout court. Comment s'incarne-t-elle dans le corps social ? Quels seraient ses moyens opératoires ? Il convient ainsi de s'interroger sur la conception (ou des conceptions) nietzschéennes de l’État.

 

 

5. Nietzsche et l’État

 

Nous posions la question : peut-il y avoir une mise en œuvre concrète de la justice à l'échelle d'une société toute entière, fusse pour aider à la sélection des meilleurs dans un système aristocratique (le gouvernement des meilleurs, à ne pas confondre avec l'oligarchie, le pouvoir d'un petit nombre, pas forcément vertueux, au sens de la virtu machiavélienne), sans la construction d'institutions capables d'en structurer l'exercice ? Ou tout au moins d'en évaluer la transgression.

 

 

Force est de constater, à la lecture de ses écrits, que la pensée nietzschéenne de l’État est plutôt indigente, ou tout au moins méprisante. Nietzsche ne parle pas véritablement de société : État, église, société sont tous mis dans le même sac car ils ne feraient qu'exprimer le côté funeste du troupeau, l'homme grégaire22.

 

Dans la première partie d'Ainsi parlait Zarathoustra, au paragraphe intitulé « De la nouvelle idole », Nietzsche brosse un tableau noir de l’État, « le plus froid de tous les monstres froids ». « Beaucoup trop d'hommes viennent au monde : l’État a été inventé pour ceux qui sont superflus », « l’État, où le lent suicide de tous s'appelle – 'la vie' ». Ou encore : « Là où finit l’État, là seulement commence l'homme qui n'est pas superflu »23. Le portrait est peu reluisant : un monstre au service de la faiblesse des superflus.

 

Dans Aurore, Nietzsche titre ainsi son §179 : « aussi peu d’État que possible ! », avant d'expliciter : « Toutes les situations politiques et sociale ne méritent pas que ce soient justement les esprits les plus doués qui aient le droit de s'en occuper et qui y soient forcés : un tel gaspillage des esprits est en somme plus grave qu'un état de misère ». On ne peut faire plus méprisant pour désigner l'exercice du pouvoir et de ses attributions : le philosophe-roi, du gaspillage, tout simplement. Nietzsche poursuit d'ailleurs : « La politique est un atelier réservé à des cerveaux plus médiocres, et il ne devrait pas être ouvert à d'autres : que la machine s'en aille plutôt en morceaux une fois de plus ! » Pour le coup, ces affirmations entraînent bel et bien le philosophe sur le chemin de l'anti-platonisme : là où Platon exigeait que les affaires de la cité soient dirigées par le gouvernement des meilleurs, par des rois-philosophes ou des philosophes-rois, Nietzsche assigne cela aux esprits les moins gaillards (et reconnaissons que c'est hélas parfois vrai).

 

Il pousse encore plus loin son sentiment : « transformer l’État en providence, au bon et au mauvais sens, - ce sont là des buts inférieurs, médiocres et nullement indispensables, à quoi l'on ne devrait pas viser avec les moyens et les instruments les plus élevés qu'il y ait. […] Notre époque […] gaspille ce qu'il y a de plus précieux, l'esprit ». Si l'on trouve ici une expression particulièrement claire de l'affirmation nietzschéenne de la valeur supérieure de l'esprit, en tant que fruit de la domestication des instincts, celle-ci est doublée d'une dévalorisation absolue de la chose publique.

 

La pensée nietzschéenne apparaît comme donc individualiste, à la limite anarchiste, au sens politique du terme, qui ne pense pas la construction du collectif en tant que tel. Ce qui nous ramène à notre question essentielle : comment penser la justice sans État, sans tomber dans le donquichottisme, c'est-à-dire l'intégrisme ? Car il est inconcevable que la « grande justice », telle que pensée par Nietzsche, puisse être exercée par les hommes « les plus médiocres ». Si grande justice il y a, elle n'existe que dans le for intérieur de l'homme libre. Tout au plus peut-elle se concevoir comme la complémentation de volontés supérieures qui se démultiplient les unes les autres. Autrement dit, la seule société pensable dans cet horizon (de fait, limité) serait un conglomérat de volontés de puissance qui s'associeraient en vue d'obtenir une volonté de puissance plus importante encore. Mais ce modèle est-il autre chose qu'une forme du modèle tribal ou sectaire, et à tout le moins communautaire (donc liberticide), qui ne peut donner naissance qu'à un monde où il manque des Institutions, des cadres pour le collectif ?

 

D'où sans doute l'invocation qui peut sembler un peu creuse, ou tout au moins inaboutie, de la « grande politique ». Même si Nietzsche ne se confond évidemment pas avec ceux qui le lisent, on peut se demander si cette indétermination (de la question politique et institutionnelle chez Nietzsche) n'a pas été ce qui a rendu possible, ou au moins facilité, l'usage nazi de son œuvre. Sans que cela n'invalide a posteriori la puissance, c'est-à-dire la fertilité incommensurable de sa pensée philosophique. Le hiatus qui semble ainsi se découvrir est peut-être celui entre d'un côté le champ de la connaissance sociologique, l'étude scientifique de la société, ou encore de l'anthropologie et de la psychologie des masses, et de l'autre le champ de l'action politique.

 

La généalogie de la morale se situe clairement du côté des sciences de l'homme. Nietzsche n'a jamais prétendu changer l'ordre du monde autrement que par le moyen de la pensée. C'est aussi sa faiblesse. La faiblesse de sa force d'esprit supérieur. Et ce qui peut le rendre prétentieux, mais aussi inopérant voire dangereux.

 

 

6. Institution de la civilisation

 

Il pourrait ici être utile de faire l'historique de la mise en œuvre progressive d'une justice séculière dans la France (et plus largement dans l'Europe) des XVème - XVIIème siècles, venant progressivement remplacer le modèle plus ou moins spontané de la vendetta, de l'honneur et du duel (des formes de la violence pourtant déjà plus ou moins codifiées). Traçons-en toutefois les grandes lignes. Les œuvres de l'historien Robert Muchembled sont à ce titre indispensables, notamment son livre « L'invention de l'homme moderne. Culture et sensibilités en France du XVè au XVIIIè siècle », décrivant à partir d'archives judiciaires le long processus de civilisation des mœurs et de criminalisation des comportements déviants (ou plus précisément leur inscription dans une nouvelle norme).

 

« La violence est ordinaire, générale, dans les villes et les villages du XVème ou XVIème siècle. […] La société n'est pourtant pas une jungle désordonnée parcourue par des êtres qui se laisseraient aller à leurs instincts les plus bestiaux. Des règles précises codifient le droit de vengeance. La justice paraît faible, aux yeux d'un observateur du XXème siècle, mais elle est plutôt un arbitrage offert qu'une punition imposée. […] La loi qui règne sur ce monde n'est ni celle des institutions extérieures, ni celle du plus fort, mais une sorte de subtil équilibre »24. Ce n'est qu'à partir du XVIème siècle, en France, que les évolutions politiques poussent « à l'affaiblissement des systèmes de paix privés au profit des tribunaux »25, étape supplémentaire sur le chemin de la civilisation des mœurs, de la civilité, de la galanterie, de la politesse et pour tout dire de la politique au sens noble (un autre sens de la « grande politique »?). Autrement dit, c'est l'institutionnalisation progressive des rapports humains qui a permis à la société de sortir tant bien que mal, et jamais définitivement, des spirales infernales de la violence. On mesure l'écart avec Nietzsche affirmant dans le Crépuscule des idoles que « la civilisation (Kultur) et l’État – qu'on ne s'y trompe pas – sont antagonistes »26.

 

Une seconde approche historique serait particulièrement éclairante, celle du cas des opérations de chasse aux sorcières entre le XVème et le XVIIème siècle, et à travers elles le rapport entre l'Inquisition, centralisée à partir de 1542 par le pape Paul III, et les tribunaux laïques. Tout à fait paradoxalement et étonnamment, les sorciers et les sorcières semblent bien avoir été beaucoup plus persécutés par les tribunaux séculaires, quand ce n'était tout simplement pas l'expression spontanée de la vindicte populaire (lynchages, chasses à l'homme), là où l'Inquisition catholique (du latin, inquisitio, « enquête, recherche méthodique, investigation ») n'était pas implantée. C'est en effet en Allemagne et dans l'Europe du Nord que les « fiancées du diable » furent les plus persécutées : « si l'Italie évite de tomber dans la terreur satanique, elle le doit paradoxalement à l'Inquisition »27, car « contrairement aux idées reçues, les tribunaux inquisitoriaux, à partir de la deuxième moitié du XVIème siècle, surent se montrer compréhensifs, accessibles au bon sens et firent preuve d'une relative bienveillance à l'égard de tous les délits religieux qui ne relevaient pas de l'hérésie protestante »28. On comprend là qu'il ne s'agit pas de minimiser la violence de l'acte inquisitorial (qui aboutit parfois à la mise à mort), mais de réfléchir sur les conditions et les modalités de son exercice, ainsi que de sa relative participation au processus de civilisation des mœurs, en tant que codification (souvent paperassière, d'où les archives innombrables) de la justice, aux côtés d'autres formes moins codifiées et bien plus arbitraires. « Même en Sicile et en Sardaigne, régions où sévissait la redoutable Inquisition espagnole, la chasse aux sorciers fut totalement ignorée »29. De même, « l'Espagne montra, face au problème de la sorcellerie, une attitude comparable à celle de l'Italie. […] Une seule région fut vraiment atteinte […] c'est le Pays Basque. Mais lorsque l'Inquisition intervint, elle le fit souvent contre son gré, poussée par les communautés locales et les justices civiles »30. Les chasses aux sorcières ont ainsi souvent eu une origine locale, spontanée, que l'Inquisition, cette institution souvent terrifiante (utilisant notamment parfois la torture, conformément au droit romain en usage), a paradoxalement contribué à canaliser, tout en mettant en place des innovations juridiques, comme par exemple le principe d'un jury dans le cadre d'un consilium, d'un conseil de plusieurs personnes, en lieu et place de la seule évaluation par le libre-arbirtre d'un juge31. Le résultat a permis parfois de calmer les ardeurs populaires, les tendances à désigner un bouc émissaire pour conjurer les maux qui accablaient les populations.

 

Mais l'Inquisition elle-même sera « canalisée », ou plus clairement dépassée, par une nouvelle institution qui tend à étendre le champ de son action, notamment dans le cadre de la royauté française de la fin du Moyen-Age : l’État (dont Jean Bodin sera l'un des premiers à en faire la théorie au XVIème siècle).

 

Peu après deux profondes réformes de Colbert visant à fixer le code pénal, en 1667 et 1670, l’État est en effet définitivement intervenu sur la question de la sorcellerie. Dans un édit de 1682, sous le règne de Louis XIV, « il n'était plus question d'entreprendre des actions en justice sur simple dénonciation de la rumeur publique ». Il fallait des preuves matérielles, progrès évident. « La sorcellerie tomba progressivement du côté de la vulgaire superstition, de l'ignorance populaire et de l'illusion de l'imaginaire »32. Aucune institution humaine ne tombe du ciel, elle est le fruit d'un long processus de maturation, pas toujours rationnel d'ailleurs, ni toujours pacifique, mais qu'il convient d'étudier.

 

Que retenir de ces excursus historiques ? Que la justice spontanée n'existe pas et qu'il est sans doute vain d'en attendre l'avènement d'une nouvelle civilisation, en prêchant pour le nouvel homme d'une nouvelle société. Les incantations (u-topiques ou méta-physiques) ne suffisent pas et ne suffiront jamais à changer les hommes qui s'inscrivent toujours dans des institutions de droit positif. On peut laborieusement éduquer et pacifier une société. Mais les ressorts souterrains de la perversion ne disparaîtront pas pour autant d'un coup de baguette magique. Quand on veut détruire une idéologie (le christianisme pour Nietzsche), il ne suffit pas d'en critiquer les fondements philosophiques, cela ne peut se faire sans remplacer les structures qui portent cette idéologie. Quid donc de l'action politique. C'est-à-dire de ce moment où la parole en tant que performative a prise sur le réel. Nietzsche semble faire preuve d'une forme de naïveté en croyant que sa pensée serait simplement venue trop tôt et que les prêches de Zarathoustra son double pourront peut-être convaincre les esprits dans les siècles à venir. Comment les idées pourraient-elles se faire chair sans s'inscrire dans la médiation d'institutions, certes humaines, toujours trop humaines ?

 

Le seul horizon concret est celui de l'action politique, à laquelle Nietzsche répugnait pourtant. Ne faut-il pas construire des institutions, jamais en une seule génération d'ailleurs, puis les améliorer, les peaufiner, sachant qu'elles sont toujours amenées, au fil du temps qui s'écoule et des générations qui passent, à se dégrader, à se rigidifier, à se déconnecter de la réalité ? Mais elles sont les médiations sociales indispensables pour parvenir à établir les conditions de possibilité d'une justice humaine, toujours imparfaite, mais toujours meilleure que la loi du plus fort (qui n'est d'ailleurs pas une loi, mais une jungle).

 

Friedrich Nietzsche n'est apparemment pas parvenu à penser cela dans toute son envergure. Serait-il est possible de tenter de l'expliquer, par la mise en pratique de la méthode généalogique sur son propre auteur ?

 

 

7. Le sol nietzschéen

 

Dans le Service divin chez les grecs, le jeune Nietzsche amorce la question généalogique sous la forme de la métaphore filée de la plante et de son sol. Comment quelque chose pousse-t-il sur un sol ? C'est cette méthode que le philosophe va incessamment appliquer… et qui peut naturellement être utilisée pour analyser l'analyseur. Quel est ainsi le sol qui a nourri (rendu possible) le philosophe Nietzsche ? Plus précisément, qu'est-ce qui, dans le sol nietzschéen, l'a entravé dans sa pensée de la pratique politique et de la place de la médiation institutionnelle ?

 

 

Voici plusieurs hypothèses qui en resteront pour le moment au stade d'esquisse.

 

Il y a tout d'abord le cadre historique et politique, qui n'a pu manquer d'influencer sa vision de la « grande politique » :

 

- Nietzsche grandit et publie durant la seconde moitié du XIXème siècle, qui est la période d'unification de l'Allemagne autour de la Prusse, dans une atmosphère globalement belliqueuse : confédération germanique, Zollverein, puissance des Hohenzollern, Bismarck et la mise à genoux de l'Autriche, puis guerre franco-prussienne, avec proclamation de l'unité allemande dans la galerie des glaces du château de Versailles en 1871, sur fond de Révolution industrielle et d'antisémitisme. L'image du politique n'est pas forcément très reluisante. Nietzsche s'inquiète notamment des "bruits de bottes" en Europe (voir notamment les fragments de la folie, mais l'idée est présente bien avant)33.

- Il faudrait néanmoins remonter plus en amont dans l'histoire du Saint Empire Romain Germanique, matrice de pensée en Allemagne, qui se construit comme une confédération du plus petit dénominateur commun, garante des "libertés germaniques" : l'Empereur étant élu par les Princes locaux comme celui qui va faire le moins de choix de nature politique et leur laisser le plus de pouvoir, selon un modèle, non pas de décentralisation, mais de non-centralisation du politique. Voir Jacques Droz, Histoire de l'Allemagne, qui souligne que la culture allemande des 18ème et 19ème siècles « s'est développée en dehors de l'Etat territorial, où elle n'avait que faire. Et c'est pourquoi s'est accomplie cette disjonction de la culture et de la politique, qui est la clef de toute l'histoire de l'Allemagne moderne. Les esprits supérieurs se montrent indifférents à l'égard de la politique nationale, dont ils abandonnent totalement la direction aux organismes compétents ; quant à eux, ils réfléchissent à des problèmes d'ordre universel et cosmopolite ».

- Il faut adjoindre à ces considérations la conception romantique du corps politique comme un "organisme vivant". Comme l'écrit Jacques Droz, « à la doctrine française de la nationalité qui s'appuie sur un contrat librement consenti, [les penseurs allemands du 19è siècle comme Novalis ou Schlegel] opposent la nation en tant qu'être vivant, engendré par l'action incessante d'une force vitale - le Volkgeist - dont les coutumes, croyances, traditions et droit populaire sont les principales manifestations ». C'est ainsi que, sur fond d' « image idéalisée du Reich germanique » dont il faudrait retrouver l'unité et la pureté (on pourrait appeler cela la théologie de l'"Ur", le fantasme des origines perdues), l'Allemagne « s'est forgée cette religion du Reich futur, appelé à rénover et organiser un monde décadent », « mission providentielle » qui lui échoit à la fin de l'histoire. Un corps social vivant peut et doit viser à son autonomie en tant que telle donc briser les cadres humains, trop humains, du droit positif. C'est l'arrière-plan de l'opposition entre société et Etat : d'un côté la nature d'une société qui pourrait s'autoréguler et de l'autre l'artifice humain d'un Etat arbitraire.

- Au même moment, en France, c'est le passage du 2nd Empire à la IIIème République, un régime qui va s'installer durablement à partir des 10 années de transition de la décennie 1880. Plus en amont, il y a la Révolution Française et une ribambelle de philosophes de terrain, de politiciens-philosophes qui élaborent concrètement de nouvelles modalités du vivre-ensemble, au moment où, apparemment, ce sont les chaires de métaphysique qui dominent en Allemagne. Ainsi, lorsque Karl Marx compare la situation du monde germanique avec celle de la France, il met en avant « le statu quo allemand »34, le met en balance avec l'enchaînement des nombreux bouleversements politiques vécus par la France depuis 1789, et en analyse régulièrement les causes. Constat de Marx (un constat qui a d'ailleurs tout l'allure d'un projet) : « L'Allemagne qui fait les choses à fond ne peut faire la révolution sans la faire de fond en comble »35. Autrement dit, si l'Allemagne est passée à côté des grands chambardements politiques, c'est pour aller plus loin que les autres le jour où la révolution se mettra en marche. Serait-ce l'expression reformulée d'une posture hégélienne qui considérait que si, certes, l'Allemagne était restée en marge de l'histoire du monde durant la plus grande partie des siècles de l'histoire de l'incarnation de l'Esprit, c'est pour mieux en clore et en subsumer le parcours dans une sorte d'apothéose historique ? On ressent d'ailleurs à la lecture de Fichte le même complexe : se sentir sur la touche et avoir quelque chose à prouver sur la scène de l'histoire, s'appuyant sur une forme négative de volonté de puissance, fondée sur le ressentiment. Nietzsche semblait pressentir cette disposition d'esprit dans sa critique récurrente du nationalisme étriqué à l'échelle de l'Europe. Mais sa philosophie n'est-elle pas aussi le fruit d'un complexe de ce type, notamment dans sa prétention à « couper l'histoire en deux » ? Le cas Nietzsche semble en tout cas plus complexe, et son rapport à l'Allemagne peu pacifié.

 

 

D'autre part, le cadre éducatif et religieux devrait aussi être passé à la loupe :

 

- d'abord son histoire personnelle et sa maladie, de plus en plus présente et pressante, qui l'ont obligé au retrait sur les cimes de la pensée, et à ne pas s'engager dans les institutions de son temps en plongeant dans l'arène, hormis un passage relativement bref comme professeur d'université ;

 

- son éducation protestante et ses études religieuses : on ne peut comprendre Nietzsche sans savoir qu'il a tout d'abord commencé par se destiner à devenir pasteur protestant. A l'inverse du catholicisme hiérarchisé dans une structure internationale et pyramidale, la grille de lecture du protestantisme est plutôt celle d'un rejet de la médiation en tant que telle, donc de toutes les institutions quelles qu'elles soient. C'est l'objet des revendications de Luther, plus que la lutte contre les Indulgences, lorsqu'il revient de son voyage à Rome et qu'il proclame qu'il n'y a pas besoin d'un passage par la médiation de l’Église pour accéder au message divin. Sa traduction des évangiles en langue allemande n'a d'autre objectif : défier l'autorité papale en affirmant que la seule autorité est celle du texte (et donc du lecteur qui en fait l'interprétation). L'individu prime sur l'institution. De la même façon que pour Marx, la médiation de l’État doit disparaître entre le citoyen et la souveraineté, Luther théorise la nécessité de supprimer l’Église, cette médiation entre le croyant et l'autorité divine. Cette vision du monde, acquise dès son plus jeune âge, n'a pu manquer d'influencer les rapports de Nietzsche à la question des Institutions. Il conviendrait d'en mesurer la portée, si cela n'a déjà été fait.

 

 

Ouverture

 

8. Platon et Nietzsche : la grande affirmation

 

Platon fait partie de ces personnages très présents dans les livres du philosophe allemand. Mais le Platon de Nietzsche est une figure largement faussée, déformée par la lecture rétrospective que Nietzsche en fait, comme précurseur du christianisme. Le Platon de Nietzsche est plus celui d'un certain platonisme tardif, largement métaphysique.

 

On pourrait aller jusqu'à poser l'hypothèse d'un certain nietzschéisme de Platon. Ce dernier est en effet bien plus proche de la grande affirmation de la vie que ne veut le dire son lointain successeur. Platon ferraille contre le nihilisme de son époque, une époque aussi vécue comme une période de décadence des valeurs : et d'abord contre le relativisme des sophistes (tout est vain, tout se vaut), mais aussi contre le matérialisme des physiciens présocratiques (et qui oublient de cultiver la valeur de l'esprit comme tel), ou encore contre les valeurs diffuses et confuses des poètes, aèdes et tragédiens (valorisation de postures propres à l'homme du ressentiment). Les adversaires de Platon ne seraient-ils pas aussi ceux de Nietzsche ?

 

Comme Nietzsche, Platon cherche à refonder la civilisation sur de nouvelles bases afin d'amener l'homme à se dépasser, et pour cela il pose des valeurs. L'objectif platonicien est bien plus politique que métaphysique et il consiste à donner à l'esprit un nouveau souffle : toute la philosophie platonicienne entend refonder, réévaluer, subvertir les concepts pour les transcender. Platon, bien avant d'être anachroniquement un métaphysicien (ce sont les lectures médio et néo-platoniciennes, puis chrétiennes qui l'ont façonné ainsi), est surtout un grand éducateur, comme l'est Nietzsche à sa manière dans sa pratique de la pensée. C'est ainsi que « l'arétè » défendue par le philosophe grec n'est pas la « vertu » chrétienne, comme l'a imposé la lecture latine de son œuvre, c'est bien plutôt « l'excellence ». Le fait de porter au sommet de son intensité un savoir-faire, théorique ou pratique.

 

La République de Platon est consacrée essentiellement à la question de la justice, la cité étant considérée comme le modèle agrandi de l'individu. La justice dans l’État (et donc aussi dans l'individu) est constituée par le rapport harmonique des trois « excellences » que sont la « tempérance » (c'est-à-dire la maîtrise du désordre et de la démesure des désirs), le « courage » (c'est-à-dire la maîtrise de soi, notamment face à l'adversité), la « sagesse » (au sens de la raison éclairée, la mise en ordre de l'esprit).

 

La vision aristocratique de la justice, défendue par Platon, comme mises en ordre, hiérarchisées, de l'âme humaine et de la cité, en vue de l'établissement de l'excellence (c'est-à-dire de ce qui est fort par nature : l'esprit, l'intelligence, le noûs, mais aussi la puissance créatrice au service de la grandeur…), n'est-elle pas bien plus proche de Nietzsche que celui-ci voulait bien l'accepter ou en tout cas pouvait le voir, avec les lunettes de son temps ?

 

Si leurs aspirations ne sont pas les mêmes, peut-on y voir au moins le même mouvement de deux esprits portés vers un dépassement de l'homme par l'homme.

   LAVARENNE Mathieu

 

 

 

BIBLIOGRAPHIE

 

BIGET Jean-Louis, L'Inquisition, Éditions sonores De Vive Voix, Paris, 2005

BOURIAU Christophe, Nietzsche et la Renaissance, Paris, PUF, 2015

CERVANTES Miguel, Don Quichotte de la Manche, 1605 - 1615

DUMONT Jean, L'Église au risque de l'Histoire, Éditions de Paris, 1984

GIRARD René, La voix méconnue du réel, Paris, Grasset, 2002

GRANIER Jean, Nietzsche, Paris, PUF, 1982 (1ère éd.)

HEBER-SUFFRIN Pierre, Le Zarathoustra de Nietzsche, Paris, PUF, 1992

KAHN Pierre, L’État, Paris, Quintette, 1989

MASCOLO Dionys, Nietzsche, l'esprit moderne et l'Antéchrist, Tours, Farago, 2000

MATTEI Jean-François, La barbarie intérieure. Essai sur l'immonde moderne, Paris, PUF, 1999 (1ère éd.)

MARX Karl, Contribution à la critique de la philosophie du droit de Hegel, Aubier Montaigne, Paris, 1971

MUCHEMBLED Robert, Sorcières, justice et société aux XVIè et XVIIè siècles, Paris, Imago, 1987

    - L'invention de l'homme moderne. Culture et sensibilités en France du XVème au XVIIIème siècle, Fayard Pluriel, 1988

    - Le Roi et la Sorcière. L'Europe des bûchers, XVè-XVIIIè siècles, Paris, Desclée, 1993

MONTINARI Mazzino, Nietzsche, Paris, PUF, 2001

    - « La volonté de puissance » n'existe pas, Paris, L'éclat, 1996

NIETZSCHE, Oeuvres, Paris, Robert Laffont, Collection Bouquins

    - Mort parce que bête, Paris, Parc, 1998

SALLMANN Jean-Michel, Les sorcières. Fiancées de Satan, Paris, Gallimard, 1989

SCHLECHTA Karl, Le cas Nietzsche, Paris, Gallimard, 1960 

WOTLING Patrick, Nietzsche et le problème de la civilisation, Paris, PUF, 1995 (1ère édition)

ZWEIG, Conscience contre violence, ou Castellion contre Calvin, Paris, 2010

 

 

Notes

 

1Voir Mazzino Montinari, « La volonté de puissance » n'existe pas, Paris, L'éclat, 1996

2Cet épisode ne dépasse pas une page et demi sur les 1200 que comporte l’œuvre intégrale, et il n'a pas la portée si positive qu'on lui prête… C'est dire combien Don Quichotte est fort mal connu et que l’œuvre de son créateur mérite d'être digérée.

3La Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen du 26 août 1789 dont le texte fait actuellement partie du préambule de notre Constitution, prend ainsi une valeur contraignante réelle dans le droit qui s'exerce à travers les tribunaux. En revanche sa petite sœur mondialisée par sa proclamation universelle dans le cadre post-guerre de l'ONU, la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme, n'a pas de citoyen concret qui aurait directement des comptes à lui rendre, si ce n'est sur le plan moral (c'est toutefois déjà ça). Cette déclaration de 1948 est plus de l'ordre d'une pétition de principes, qui a plus ou moins de poids dans les négociations (par exemple dans l'examen des dossiers des pays candidats à l'Union Européenne), mais qui n'est pas un texte juridique contraignant auquel un tribunal pourrait se référer. Le cas des tribunaux pénaux internationaux pourraient faire figure d'exception, mais ils restent toutefois limités dans leur action : ponctuels, relatifs à une situation historique, ne s'adressant qu'à une catégorie particulière de crimes, et largement entravés par les droits positifs nationaux, quand ce n'est pas instrumentalisés. Une justice est donc globalement toujours celle d'un citoyen, pas celle de l'homme en général.

4Que veut l'intégriste, que veut le fanatique ? Imposer au monde entier ses conceptions et ses sentiments, sans le passage par une médiation entre lui et les autres. A la limite, la seule médiation qu'il accepte est celle de son maître à penser personnel, dont il fait son donneur d'ordre.

5Nietzsche, De l'utilité et de l'inconvénient des études historiques pour la vie (1874), §5

6Nietzsche pensait-il à la figure de Don Quichotte lorsqu'il se demandait quelle dose de vérité peut supporter un homme, en en faisant un critère de supériorité de l'esprit ? Une analyse des textes et de la chronologie permettrait peut-être d'avancer quelques hypothèses.

7René Girard, La voix méconnue du réel, Paris, Grasset, 2002.

8A cet égard, afin d'observer l'imposition, par à-coups, en un siècle, de l'idéal républicain, les éditions des « grands discours parlementaires » par l'Assemblée Nationale, sont une mine inépuisable, en plusieurs tomes : « la Révolution, de Mirabeau à Robespierre », « le XIXème siècle de Benjamin Constant à Adolphe Thiers », « la Troisième République de Clémenceau à Léon Blum ».

9Christophe Bouriau, Nietzsche et la Renaissance, p.99

10Ibid., p.100

11L'Antéchrist, §61 : « Comprend-on enfin, veut-on enfin comprendre ce qu'était la Renaissance ? La transvaluation des valeurs chrétiennes, la tentative de donner la victoire, avec tous les moyens, avec tous les instincts, avec tout le génie, aux valeurs contraires, aux valeurs nobles… Il n'y eut jusqu'à présent que cette seule grande guerre, il n'y eut jusqu'à présent de problème plus crucial que celui de la Renaissance, ma question est celle qu'elle posait », « César Borgia comme Pape… me comprend-on ? Vraiment cela eût été la victoire à laquelle j'aspire seul aujourd'hui : cela eût aboli le christianisme ! Qu'arriva-t-il ? Un moine allemand, Luther, vint à Rome […], se révolta à Rome contre la Renaissance… […] Et Luther rétablit l’Église : il la critiqua ! »

12Christophe Bouriau, Nietzsche et la Renaissance, p.101

13Nietzsche, Généalogie de la morale, I, §16

14Christophe Bouriau, Nietzsche et la Renaissance, p.104

15Ibid., p.106

16Nietzsche, Fragments posthumes, 1884, 27 [59]

17Nietzsche, Le crépuscules des idoles, « incursions d'un inactuel », §49.

18Nietzsche, Aurore, §114

19Nietzsche, Généalogie de la morale, III, §20

20Nietzsche, Fragments posthumes, 1888-1889,14 [123]

21Nietzsche, L'Antéchrist, §2

22Notons que la question de l'école, et donc de la transmission, par le biais d'établissements scolaires, où exercent des maîtres, usant d'autorité, est elle aussi très peu analysée par Nietzsche. Nietzsche et l'école, voilà sans doute un sujet de recherche qui pourrait être fructueux. Ou plus largement encore, la question de l'autorité chez Nietzsche : autorité charismatique individuelle ou exercice professionnel dans le cadre d'une fonction et d'une institution établie ?

23Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra, « De la nouvelle idole ». Même si Nietzsche n'a pas véritablement lu Karl Marx, on ne peut que faire le rapprochement avec la fameuse formule « dans la vraie démocratie, l’État disparaîtrait » (Contribution à la critique de la philosophie du droit de Hegel).

24Robert Muchembled, L'invention de l'homme moderne. Culture et sensibilités en France du XVè au XVIIIè siècle, pp.32-33.

25 Robert Muchembled, Ibid., p.36

26 Nietzsche, Le crépuscule des idoles, « ce qui manque aux Allemands », §4

27Jean-Michel Sallmann, Les sorcières. Fiancées de Satan., Gallimard, 1989, p.86. Ce n'est pas le seul historien à avoir souligné ce point.

28Ibid., p.86

29Ibid., p.87

30Ibid., p.98

31Jean Dumont, L'Église au risque de l'Histoire, Éditions de Paris, 1984, pp. 300-303 : « L'invention des jurys : des juges populaires ». Voir Henri-Charles Lea, Histoire de l'Inquisition au Moyen-Age, Paris, 1899. Ou encore Jean Guiraud, L'inquisition médiévale, Tallandier, 1978. Sous une autre forme, il est passionnant d'écouter le livre audio de l'historien Jean-Louis Biget, L'Inquisition, Éditions sonores De Vive Voix, Paris, 2005.

32Ibid., p.125

33Nietzsche a écrit quelques dizaines de billets, souvent fragmentaires, après son effondrement de Turin en 1889. Ils sont réunis dans une petite édition sous le titre Mort parce que bête. Extraits : « L'antisémitraille voudrait les éliminer […] L'Europe divisée par le nationalisme teutomaniaque a de jolies années exsangues devant soi » (note 110). « Ils mobilisent : je serai peut-être le premier grand musicien à tomber sous les balles du R[eich] » (note 130). « Nettement entendu le bruit des bottes du côté de la fenêtre […], hallucination sans doute, mais attentat ou déportation possible » (note 145). Quand on sait les horreurs que la propre sœur de Nietzsche lui fera dire, cela fait froid dans le dos.

34Karl Marx, Contribution à la critique de la philosophie du droit de Hegel, Aubier Montaigne, Paris, 1971, p.55.

35Karl Marx, Ibid., p.105.

 

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